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pliait sous le poids des circonstances ; il ne répondait plus aux nécessités du moment. La Marmora restait l’organisateur vigilant et actif de l’armée nouvelle, c’était toujours son rôle depuis dix ans. Le cabinet, dans sa direction diplomatique et intérieure, avait toutes les allures d’un pouvoir honnête, bien intentionné et médiocre. Il hésitait à prendre un parti décisif sur l’Italie centrale, qui le pressait ; il multipliait les lois d’assimilation qui froissaient les Lombards sans contenter les Piémontais : il ne se hâtait pas de réunir le parlement, gardant au-delà de la guerre les pleins pouvoirs votés pour la guerre et prolongeant par indécision une dictature dont il était le premier embarrassé. Rattazzi lui-même, bien que préoccupé de se créer un parti, une politique, n’avait pas l’ampleur d’un ministre dirigeant, et cette insuffisance, qui laissait les esprits flottans, provoquait des malaises, des scissions pénibles. Bref, de jour en jour, les affaires semblaient se nouer et appeler une main plus vigoureuse. Cavour, après avoir soutenu le ministère, ne pouvait fermer les yeux sur les dangers d’une situation que les incertitudes devaient compromettre. Admis plusieurs fois dans les conseils, il voyait qu’il fallait en finir, et, au dernier instant, un dissentiment avec le ministère au sujet de la réunion du parlement suffisait pour donner le signal de l’évolution. Peut-être Cavour mettait-il dans tout cela une certaine impétuosité qui ne ménageait pas toujours l’amour-propre d’anciens collègues. Il cédait à cette « impatience de ressaisir le pouvoir » dont parle un de ses plus fidèles et de ses plus intelligens collaborateurs, M. Artom, à cette « surexcitation joyeuse » que lui donnait la vue des « horizons nouveaux rouverts devant lui. » Il se sentait nécessaire, et de toutes parts aussi, en Italie comme en Europe, on le sentait nécessaire. Dès le mois d’octobre, le marquis Lajatico avait écrit de Londres : « Aujourd’hui il nous faut Cavour ministre ! » A la fin de 1859, lord John Russell le désignait en quelque sorte au pouvoir en lui témoignant le désir d’avoir avec lui une conférence, et lorsque tout était fait, aux premiers jours de 1860, Massimo d’Azeglio écrivait : « Maintenant nous allons marcher, j’en ai la conviction ; une main ferme reprend le gouvernail. »

Que se proposait-il donc en revenant ainsi, porté en quelque sorte par un reflux des événemens, par le courant de l’opinion intérieure et extérieure ? Il n’était pas de ceux qui ont la passion du pouvoir pour n’en rien faire. Évidemment Cavour avait, comme toujours, une pensée nette et arrêtée, une politique puisée dans la situation même et adaptée à cette situation.

Ce qu’il voulait d’abord, c’était la réunion du parlement le plus tôt possible. Vainement on lui opposait des difficultés de législation, des formalités de bureaucratie, toutes les complications d’un