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peuvent être exécutées qu’au mépris des principes de droit populaire de qui je tiens mon pouvoir, je pourrai changer d’avis[1]… »

C’était fort significatif. En invoquant toujours l’œuvre de Villafranca, l’empereur l’abandonnait par degrés ; il rouvrait lentement la porte à toutes les combinaisons possibles, même à celles qui impliquaient un démembrement de l’état pontifical, et ce qu’il ne pouvait pas dire, ses amis le disaient pour lui. Le docteur Conneau était parfois auprès des Toscans l’écho de ses pensées les plus intimes. A Londres, l’ambassadeur de France, M. de Persigny, ne se faisait faute de désavouer le langage du comte Walewski. C’était un confident dévoué de Napoléon III, ambassadeur auprès d’une des premières puissances de l’Europe, qui allait répétant partout que l’empereur reconnaissait s’être trompé dans les affaires italiennes, qu’il n’insistait plus et qu’après tout il dépendait des Italiens, de leur résolution, de leur sagesse, d’échapper aux obligations de Villafranca. Avant qu’il fût longtemps le ministre sarde à Londres, le marquis Emmanuel d’Azeglio était en mesure d’écrire à Turin : « J’ai lu la lettre autographe de Napoléon remerciant le gouvernement anglais pour sa protestation contre l’intervention étrangère… Ici on pense que le langage officiel si différent de ce qui est dit dans cette lettre n’a d’autre objet que de maintenir l’Autriche tranquille. L’empereur ajoute qu’il n’aura aucune peine de voir les événemens donner tort à ses prévisions premières. Tous les hommes d’état d’ici, y compris l’ambassadeur français lui-même, sont d’avis qu’il nous faut marcher résolument, promptement, mais prudemment, en prenant pour règle qu’en réalité à Paris on ne demande qu’à se laisser forcer la main… »

Au fond, dans les mystères de sa politique, Napoléon III avait

  1. Ces négociations des Italiens avec les Tuileries sont pleines de détails curieux, dont quelques-uns sont des traits de lumière aujourd’hui : M. Peruzzi, dans un des très intéressans rapports de sa mission, racontait une conversation qu’il avait elle avec le prince Napoléon. L’envoyé toscan ne cachait pas que, si on les abandonnait, les Italiens pourraient bien jouer le tout pour le tout, qu’ils entraîneraient le Piémont, et qu’alors l’empereur serait bien obligé de les soutenir. Le prince Napoléon répliquait : « Vous serez bien avancés quand vous aurez été cause de la ruine de l’empereur et de la venue des Prussiens à Paris ! » On répondait que l’empereur s’exposerait bien plus sûrement à la ruine s’il abandonnait l’Italie, que la France, en présence d’une marche des Prussiens, renouvellerait les prodiges de 1792. « Le prince reprit alors, poursuit M. Peruzzi, qu’avant la guerre il espérait dans la guerre, parce qu’il croyait que l’empereur serait un général et disposerait d’habiles généraux, mais qu’aujourd’hui il avait perdu ses illusions, que l’armée elle-même savait qu’elle n’avait ni un empereur général, ni des généraux habiles parmi ceux qui la commandent. » Ces mots sont du mois d’octobre 1859. Je me bornerai à rappeler qu’alors comme toujours il y aurait eu des généraux courageux et habiles pour exécuter, s’il y avait eu un chef habile pour concevoir et pour commander.