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le sénat ne peut juger que des fonctionnaires publics. D’un autre côté, les tribunaux ordinaires ne sont pas aptes à connaître des actes qui donnent ouverture à un impeachment. Il n’y avait donc plus de juridiction devant laquelle on pût demander compte à Belknap de sa conduite. La chambre, après avoir discuté longuement cette question de droit, n’en vota pas moins le bill de mise en accusation, mais l’événement devait prouver que, si le président avait voulu sauver Belknap d’une condamnation, il avait manœuvré juste.

Ce fut ensuite le tour du ministre de la marine. M. Robeson était très lié avec les deux frères Cattell. L’aîné était sénateur, mais avait conservé un intérêt dans la maison de commerce Cattell et Cie, que le cadet dirigeait. Cette maison, qui était peu importante et n’avait qu’un faible capital, n’avait jamais fait d’affaires avec le ministère de la marine avant que M. Robeson en prît la direction. Elle eut immédiatement une petite fourniture, et son crédit au ministère parut si fortement établi, que toutes les maisons qui avaient l’habitude de faire des fournitures pour la marine fédérale se crurent obligées de lui payer des commissions considérables. Le chef d’une grande maison qui fournissait depuis près d’un demi-siècle les bois de chêne que la marine employait, confessa qu’il avait payé 50,000 dollars à la maison Cattell et Cie pour conserver cette fourniture. Le comité de la chambre évaluait à 300,000 dollars les sommes ainsi obtenues par la maison Cattell. Le chef de la maison avouait un bénéfice de 235,000 dollars, et 70,000 dollars avaient été prélevés par le sénateur pour sa part. Les livres de la maison ne portaient au compte des bénéfices que 180,000 dollars : où était passée la différence entre 180,000 et 235,000 ? Cattell jeune déclarait que la mémoire lui faisait complètement défaut : il avait tenu note des sommes à lui remises sur des feuilles volantes qu’il avait détruites quand le chiffre définitif de 180,000 dollars avait été inscrit au bilan de la maison.

Or le ministre de la marine avait un compte ouvert dans les livres de la maison Cattell : il en résultait que la maison avait payé 13,000 dollars pour une villa et un terrain acquis en son nom à Long-Branch, près de New-York, qu’elle lui avait avancé sans intérêts 7,000 dollars, et enfin qu’elle lui avait remis 8,000 dollars pour des raisons politiques (for political purposes), c’est-à-dire pour être appliqués par lui aux dépenses électorales du parti républicain. Il existait en outre, entre le sénateur Cattell et le ministre, un compte particulier, auquel la maison était étrangère, et il résultait des livres de la Camden-bank qu’environ 50,000 dollars y avaient été versés au crédit de M. Robeson, soit par le sénateur, soit par les correspondans ordinaires de la maison Cattell. Le