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le fils de Tryggvi, un rejeton de la race d’Harald Haarfagr, mis à mort par les fils d’Éric à la hache sanglante. Il était né trois mois après la mort de son père, pendant que sa mère fuyait de retraite en retraite devant la haine de la veuve et des fils d’Éric. Il avait été séparé de sa mère depuis son enfance, vendu comme esclave à diverses reprises, et d’aventure en aventure, il était arrivé jusqu’à un de ses parens, personnage important dans la Russie d’alors. Devenu grand et instruit de sa naissance, il avait embrassé la carrière de viking, et s’était mis à courir les mers en quête de renom et de fortune. Il avait réussi à acquérir l’un et l’autre, car il faisait maintenant grand bruit et grande figure dans le monde. Tout récemment il avait été le compagnon d’armes de Sweyn de Danemark pendant sa campagne contre Ethelred d’Angleterre, avait fait avec lui le siège de Londres, pillé nombre de provinces, et arraché au malheureux Ethelred les premières sommes de ce fameux tribut appelé danegeld (argent des Danois), que les vainqueurs étaient en train de faire monter de 16,000 à 48,000 livres. De cet argent prélevé sur Ethelred, il avait distrait 150 livres dont il avait fait don aux moines des îles Sorlingues pour acheter un beau crucifix d’or et dire des messes pour le repos de son âme après sa mort, car Olaf était chrétien, et c’était sans doute par reconnaissance envers le souvenir d’un bon ermite qui l’avait baptisé dans les Sorlingues qu’il avait fait ce beau cadeau aux moines de ces îles. On ne pouvait pas dire que cette conversion eût été funeste à Olaf, car il était heureux en toutes choses : une princesse d’Irlande s’était éprise de lui et l’avait épousé à Dublin, d’où de temps à autre il partait pour quelque excursion de viking dans les Orcades, les Hébrides et autres îles voisines. Il était à craindre qu’il ne nourrît la pensée de pousser ses excursions plus loin, peut-être même jusqu’en Norvège.

Au moment où le messager lui portait ces renseignemens, le jarl se trouvait aux prises avec un des plus grands embarras intérieurs qu’il eût encore rencontrés, embarras causé par un des caprices de cette sensualité à laquelle il lâchait de plus en plus les rênes. Alléché par la beauté d’une de ses sujettes, une certaine Gudrun que ses charmes exceptionnels avaient fait surnommer Rayon de soleil du bosquet, il dépêcha deux esclaves avec ordre de la lui mener. Cette Gudrun fut la Lucrèce de ce Tarquin du nord. Son Collatin, qui était un propriétaire considérable, chassa les esclaves avec indignation, et prévoyant bien que le jarl n’accepterait pas cette résistance, il envoya sa flèche de guerre à ses voisins et à ses paysans et souleva une révolte. Hakon s’apprêtait à la réprimer, lorsque tout à coup une effrayante nouvelle vint paralyser son énergie. Cet aventurier du nom d’Olaf, qui lui avait causé de si vifs