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sur le vaisseau de Sigvald, où il trouva une mort immédiate, il accomplit la volonté des dieux.

La bataille recommença ; mais à peine les flottes étaient-elles en mouvement que les élémens annoncèrent de la manière la plus significative la satisfaction des dieux. Quoiqu’on fût alors en novembre, époque où les tempêtes sont rares dans les mers du Nord, le vent se mit tout à coup à souffler avec violence. En un instant, une nuit noire comme le crépuscule des dieux de la mythologie Scandinave envahit la scène de l’action, et les nuées, se déchirant sous les détonations d’un effroyable tonnerre, firent pleuvoir sur les vikings une averse épaisse d’énormes grêlons de la grosseur d’un œuf, tandis que la flotte du jarl Hakon, mieux protégée contre le vent, restait spectatrice du terrible phénomène sans en être atteinte. Plusieurs fois la tempête s’arrêta et reprit, et toujours avec les mêmes caractères. Cette tempête si exceptionnelle jeta l’inquiétude dans les âmes des assaillans. Pour être viking, on n’en est pas moins un homme, et si esprit fort qu’on soit on redevient aisément superstitieux aux jours de grand péril. Les vikings, en temps ordinaire, pouvaient bien se vanter de ne croire qu’en eux-mêmes, mais à ce moment beaucoup se rappelèrent qu’on leur avait autrefois enseigné à croire au dieu Thor, et pensèrent qu’il ne leur serait pas bon de l’avoir contre eux. Et il semblait être contre eux, en vérité, et les menacer de son puissant marteau. Par un de ces privilèges héréditaires qui sont particuliers aux familles aristocratiques, plusieurs chefs vikings avaient le don de seconde vue ; de ce nombre était Bui, qui commandait l’aile gauche de la flotte. Il avait levé la tête pendant une des averses de grêle pour observer le ciel, et qu’avait-il vu ? Une femme gigantesque volant sur un nuage les bras étendus et laissant échapper les grêlons de ses doigts. Bui, qui était d’un caractère morose et peu communicatif, garda le silence sur cette vision, et pour contrôler le témoignage de ses yeux, il se contenta d’appeler un soldat que lui avait donné au départ sa belle-sœur Tofa, et qui passait aussi pour avoir le don de seconde vue. « Lève la tête, lui dit-il, et dis-moi si tu vois quelque chose dans le ciel. » Le soldat leva la tête. « Je la vois, l’ignoble sorcière, s’écria-t-il, ses bras sont étendus, et de ses doigts s’échappent les grêlons qui nous lapident ! » Bui avait donc bien vu. Les puissances surnaturelles combattaient en toute évidence contre les vikings. Au même moment, à l’aile droite de la flotte, un jeune chef qui avait aussi le don de seconde vue, contemplait la même vision sinistre. Les nouvelles de ces effrayantes merveilles se répandirent rapidement de vaisseau en vaisseau, et, à cette nouvelle, il s’en joignait une autre faite pour décourager les cœurs les plus vaillans, c’est que cette tempête avait été soulevée par les sortilèges du jarl