Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On n’était pas encore remis de l’impression produite par l’acquittement de Babcock, qu’un rapport du comité de la guerre proposait à la chambre la mise en accusation du ministre de la guerre, le général Belknap, pour concussion.

L’armée des États-Unis, dont la principale fonction est de surveiller et de contenir les tribus indiennes, est répartie presque tout entière entre des forts et des campements situés à l’extrême frontière, fort en avant des territoires habités. Les troupes y manqueraient de tout, si des commerçans entreprenans ne traverseraient ces solitudes pour venir vendre aux officiers et aux soldats tout ce dont ils peuvent avoir besoin. La désignation des commerçans autorisés à vendre aux soldats appartenait autrefois à l’officier commandant. Depuis 1870, en vertu d’une décision du général Belknap, le droit de vendre dans chacun des postes militaires constituait un privilège dont le titulaire devait être désigné par le ministre de la guerre. Cette décision avait créé un certain nombre de petits monopoles qui avaient été distribués à des amis ou des protégés du général Belknap, du général Babcock ou d’Orville Grant, frère du président. L’un des plus lucratifs était le privilège du fort Sill, où il y avait toujours en garnison un régiment d’infanterie et un régiment de cavalerie. Ce privilège avait été accordé, par l’influence de la femme du ministre, à un certain Marsh de New-York qui n’en avait jamais usé lui-même. Il en avait laissé l’exploitation à Evans, le négociant qui depuis longues années approvisionnait le fort Sill, à la condition d’une remise sur les bénéfices, qui avait été fixée à forfait à 12,000 dollars par an. Devant le comité de la chambre, Marsh confessa qu’il remettait la moitié de cette somme au ministre de la guerre. Appelé devant le comité, le général Belknap fit un aveu complet, et, uniquement préoccupé de sauver sa jeune et charmante femme, il demanda avec larmes, pour prix de sa franchise, d’être seul compris dans l’instruction. Au sortir de cette séance, Belknap se rendit chez le président pour lui faire connaître ce qui venait de se passer, et déposer sa démission entre ses mains. Non-seulement le président remit immédiatement à Belknap une lettre par laquelle il acceptait, avec regret, sa démission, mais sur l’heure il informa la chambre qu’il avait accepté la démission du ministre de la guerre et que celui-ci avait cessé toute fonction. Ce message parvint à la chambre avant qu’elle eût pu voter la mise en accusation, et il causa une vive irritation. On y vit, en effet, comme dans la nomination de la cour martiale dans l’affaire de Babcock, un expédient pour sauver un coupable des rigueurs de la loi. Belknap, une fois sa démission acceptée, cessait d’être fonctionnaire public ; or la chambre ne peut frapper d’impeachment, et