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retour par l’étroite passe s’ils étaient vaincus. Les vikings franchirent allègrement le défilé, se formèrent en trois divisions, attachèrent leurs vaisseaux les uns aux autres pour donner avec ensemble, puis les cornes de Sigvald sonnèrent le signal du combat, et l’action s’engagea. Ce ne fut pendant longtemps que grêle de pierres énormes, de flèches, de dards et de lances ; cette abondance de projectiles lancés des deux flottes à la fois avait pour but d’éclaircir les équipages des navires, et ce n’était, que lorsqu’on les croyait suffisamment éclaircis qu’on essayait de rompre la ligne de l’adversaire et de monter à l’abordage, Hakon, secondé par ses deux fils aînés, Éric et Sweyn, essaya plusieurs fois de rompre cette longue ligne de cent cinquante navires et fut souvent sur le point de réussir ; mais chaque fois le combat fut rétabli à l’avantage des vikings, et à la fin, bien que l’issue de la lutte fût encore fort éloignée, il sembla aux deux flottes que la victoire faisait mine de vouloir tourner du côté des assaillans. Hakon sentit le péril, et en capitaine habile et prudent, interrompit le combat et fit reculer sa flotte comme pour lui donner un instant de repos, mais en réalité pour gagner du temps sur la fortune, qui semblait vouloir se prononcer en faveur de ses ennemis, et la jouer, s’il était possible.

Un des chefs vikings, le premier pour l’intrépidité, Bui, fils du jarl de Bornholm, comprenant le piège, voulait que les vikings poursuivissent leur avantage sans laisser à Hakon le temps de respirer ; mais Sigvald, qui était un autre Hakon pour la perfidie et la prudence, sinon pour la dévotion, objecta que le combat durait depuis longtemps, qu’il fallait donner aux troupes quelques heures de repos, et ce conseil prévalut au grand détriment des vikings. Profitant de cet intervalle d’inaction, Hakon descendit à terre et se rendit avec un de ses conseillers dans un petit temple situé près du rivage pour y consulter la volonté des dieux. Dès qu’il avait eu appris l’arrivée des vikings, une de ces obsessions tenaces qui sont propres aux dévots de tous les temps s’était emparée de son esprit. Peut-être les dieux sont-ils irrités contre la Norvège ? mais peut-être pourraient-ils être apaisés par le sacrifice de quelque noble victime ? Qu’ils me la nomment, et que la Norvège soit sauvée, même au prix de mon propre sang ! Si les dieux pouvaient être apaisés, il n’y avait plus maintenant un instant à perdre pour connaître leur volonté. Il s’agenouilla donc devant l’idole de Thorgerda, la vierge du bouclier, et lui défilant une longue liste de noms illustres la supplia de lui désigner par un signe la victime qui lui plairait. Il paraît que la déesse fit un signe affirmatif lorsque fut prononcé le nom d’Erlend, le plus jeune fils d’Hakon. A la fois triomphant et désespéré, Hakon descendit au rivage et fit connaître le sombre oracle qui venait d’être prononcé. Le jeune Erlend n’hésita pas, et, se précipitant