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de leurs armes, à la vigueur des bras qui les maniaient et aux bons coups qu’elles portaient. Cet individualisme athée et ce culte intérieur de la force ont été mis en lumière par M. Dasent dans leur nuance la plus particulière et la plus précise.

Hakon-Jarl a été peint avec grand détail par M. Dasent et jugé par Thomas Carlyle en quelques traits d’une lucidité admirable ; toutefois on serait presque tenté de trouver qu’ils sont restés l’un et l’autre en deçà de la triste justice qui lui est due. Dans cette réaction contre le christianisme, Hakon-Jarl fit montre d’un génie véritable et d’une entente merveilleuse de l’un des mécanismes les plus essentiels et les plus puissans de toute religion. On voit clairement qu’Hakon essaya de créer un ravivement de ferveur parmi les populations en atteignant cette disposition intérieure au scepticisme qui ne les laissait soumises à la religion d’Odin que par la seule force de l’habitude. Le moyen qu’il employa pour arriver à ce but fut exactement le même qu’ont employé à leurs heures critiques des religions autrement puissantes que le vieux paganisme du Nord, la dévotion. Atteindre l’intérieur de l’homme par l’habitude des pratiques extérieures, élever l’accomplissement, de ces pratiques à la hauteur d’un devoir essentiel et indispensable, effaroucher l’âme par l’exigence de ces pratiques au moment même où elle fait montre d’indépendance, lui faire violence si besoin est, et préférer l’irriter et la révolter que la laisser dans l’état de tiédeur ou de sécheresse sceptique ; telle a été la tactique de la plupart des réformateurs célèbres du catholicisme en particulier, et telle fut la tactique du jarl Hakon. M. Dasent nous le montre prosterné, dans l’attitude la plus complète de l’humilité, dans les temples bâtis et décorés par lui, multipliant les génuflexions devant les idoles des vierges du bouclier, les valkyries Thorgerda et Irpa, déclarant que ce n’est pas assez de croire aux dieux, mais qu’il faut encore les prier avec tremblement, leur prodiguer les marques de respect et de soumission, ou même en inventer de nouvelles pour se les rendre favorables. Hakon était donc dévot dans toute l’exactitude du mot, c’est-à-dire croyant aux rites, aux cérémonies, à la récitation des formules consacrées, et dévot à ne reculer devant aucune extrémité, aussi noire fût-elle ; la tradition raconte qu’au milieu de la bataille navale contre les vikings de Jomsburg, voulant se rendre les dieux favorables, il leur sacrifia son plus jeune fils. Sa dévotion le faisait passer pour magicien aux yeux des populations, qui prenaient ses prières pour des incantations et ses gestes pour des sortilèges ; mais il croyait lui-même à la magie, c’est-à-dire à l’efficacité de certains moyens pour entrer en communication avec l’invisible, et nous le voyons, dans le récit de M. Dasent, cherchant à connaître la volonté des dieux par des dés sculptés d’or et d’argent jetés dans