Il ne faut pas s’y tromper cependant ; les obstacles que le christianisme avait à surmonter étaient nombreux, mais au fond ils étaient plus grands en apparence qu’ils ne l’étaient en réalité. Les facilités que le jarl Hakon rencontra parmi les populations norvégiennes pour sa réaction païenne consistèrent simplement dans la force acquise des habitudes séculaires et dans le premier étonnement que dut causer à des hommes pénétrés des mœurs nées d’une religion toute guerrière l’apparition d’une doctrine qui recommandait le jeûne, conseillait de ne pas s’enivrer, mettait la paix au-dessus de la guerre, et défendait de verser le sang de son ennemi. Quelques-uns des raisonnemens inspirés à ces populations par cette logique de la routine qui ne manque jamais d’assaillir toute innovation bonne ou mauvaise, et qui est souvent si courte, sont venus jusqu’à nous. « Comment travaillerons-nous, si nous ne mangeons pas ? » disaient-elles, lorsqu’on leur recommandait le jeûne ; « comment la terre sera-t-elle cultivée si on nous enlève notre temps de travail ? » disaient-elles lorsqu’on leur recommandait le respect du dimanche. Une pareille logique ne pouvait tenir longtemps qu’à la condition d’être soutenue par un grand zèle et une grande ferveur ; or cette condition manquait absolument dans le Nord à cette époque. Il était arrivé à la religion d’Odin ce qui arrive à toute religion vieillie, c’est qu’il n’en restait plus qu’un simulacre extérieur et que la foi intérieure s’était éteinte. De là chez ces populations une disposition déjà ancienne au scepticisme et qui ne fit qu’augmenter lorsqu’on vint leur proposer de nouvelles croyances. Placées entre des dieux anciens auxquels elles ne croyaient plus parce qu’ils étaient trop vieux, et un dieu nouveau auquel elles ne croyaient pas encore parce qu’il était trop jeune, leur embarras d’esprit fut grand et se traduisit chez les masses rustiques par une tiédeur voisiné de l’indifférence, et chez les hommes qui menaient une vie guerrière de tous les jours, tels que nos vikings, par un parti-pris d’athéisme où le culte expirant semblait avoir fait passer toute son énergie. « A quoi crois-tu ? demandait saint Olaf à l’un de ses soldats. — Je crois en moi, lui répondit le guerrier. » Le philosophe Emerson, si j’ai bonne mémoire, a cité ce mot dans son fameux essai Self reliance, comme exemple de l’appui que l’homme doit chercher en lui-même, et le mot peut être en effet pris dans ce sens, si on l’abstrait du milieu historique où il a été prononcé ; mais, si on l’y laisse, on lui trouvera une signification moins morale. Ce mot, habituel aux guerriers du Nord aux Xe et XIe siècles, exprimait la croyance toute brutale à laquelle ils s’étaient arrêtés dans l’incertitude où les laissait le conflit des religions. Ils déclaraient croire en eux-mêmes, croire à leur vaillance personnelle, à l’excellence
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