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funérailles d’Harold, une sorte de querelle du sang avec lui, ne demandaient pas mieux que de favoriser tout projet qui pourrait lui nuire. L’amour, plus puissant pour les œuvres de la haine que la haine elle-même, se chargea de fournir à l’un et aux autres l’occasion désirée.

De tous les engagemens qui liaient entre eux les pirates de Jomsburg, le plus puissant était l’obligation du célibat. C’était cette absence de famille qui en faisait précisément une grande famille où tous les intérêts individuels se trouvaient en harmonie avec l’intérêt général, où les cœurs n’étant point partagés concentraient sur la compagnie seule toutes leurs forces de dévoûment. Cette obligation du célibat n’était pas particulière aux vikings de Jomsburg ; elle était pour ainsi dire de tradition chez les aventuriers scandinaves. Ces hommes qui n’avaient peur de rien avaient peur de l’élément féminin, et le regardaient comme un dissolvant de l’ardeur militaire. Dans un chant admirable composé pour une génération antérieure, le Code viking de Frithiof, fils de Hilding, se trouvent ces conseils qui, tout peu galans qu’ils soient, ne manquent ni de sagesse ni d’expérience. « Les jeunes filles sont en lieu de sécurité sur le rivage, elles ne doivent pas venir à bord. Fût-elle Freya, prends garde à la jeune fille, car la fossette de sa joue est une fosse pour toi, et ses blondes tresses flottantes sont un piège. » Les chants des skaldes, les légendes sanglantes du Nord, et ce qui était d’un enseignement plus direct encore, les événemens de l’histoire récente, ne disaient-ils pas également à quel point l’influence des femmes était fatale, soit qu’elle s’exerçât avec douceur, soit qu’elle s’exerçât avec violence ? Dans le premier cas, elle perdait les cœurs des braves en leur persuadant qu’il y avait quelque chose au-dessus de la guerre, et dans le second, quelles semences de haines et quelles moissons de vengeances ! N’était-ce pas pour satisfaire un désir de femme que, quelque cent ans auparavant, le royaume de Norvège avait été fondé et tant de braves jarls réduits à la dépendance ? Il y avait alors une belle jeune fille du nom de Gyda, dont Harald aux blonds cheveux (Haarfagr) devint amoureux ; mais lorsqu’il demanda sa main, elle répondit nettement qu’elle n’était pas faite pour un simple jarl et qu’elle n’épouserait jamais qu’un roi ; sur quoi Harald fit vœu de laisser croître sa blonde chevelure jusqu’à ce qu’il eût satisfait à la condition posée par sa bien-aimée. Il en résulta douze ans de guerre, au terme desquels tous les jarls eurent succombé ou se furent soumis. Ce ne fut donc pas sans soulever d’âpres récriminations que Sigvald, fils du comte de Scanie, le capitaine de Jomsburg, vint annoncer à sa compagnie l’intention où il était de se marier, et lui proposa de modifier la loi qui prescrivait le célibat à ses membres. Si une femme avait été assez forte