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étroite ressemblance entre les anciens Grecs et les anciens Scandinaves ; maintenant voici qu’à la résonnance de leurs noms, Palnatoki, Bai, Aki, Veseti, on dirait des personnages échappés des anciens poèmes de l’Inde.

Le récit de M. Dasent abonde en détails minutieux sur la manière de vivre des vikings. Entrons par exemple dans leur salle de festins, vaste et long carré percé de deux portes étroites à ses deux extrémités, et éclairé sur ses deux flancs par de petites lucarnes pratiquées trop haut dans la muraille pour pouvoir fournir passage. Des deux côtés de la salle couraient deux rangées de bancs, interrompus au milieu par deux sièges plus élevés, réservés l’un au capitaine et l’autre à son lieutenant. Devant ces bancs se plaçaient les tables, qu’on établissait sur des tréteaux et qu’on enlevait après chaque repas. Au centre de la salle, pendant l’hiver, on allumait de distance en distance de grands feux dont la fumée s’échappait par des ouvertures pratiquées au toit. On mange beaucoup dans le roman de M. Dasent, ce qui n’a rien d’extraordinaire avec des héros du genre de ceux qu’il a choisis ; toutefois, quelque robuste que fût leur appétit, les vikings ne faisaient que deux repas, un le matin à neuf heures, et le second le soir à la même heure. On mangeait davantage au premier et on buvait davantage au second, qui était vraiment interminable, car aussitôt que les tables étaient enlevées, les vikings commençaient à se porter mutuellement des toasts, et les libations de bière et d’hydromel les conduisaient fort avant dans la nuit. D’abord le capitaine se levait, tenant une corne pleine d’hydromel dont il vidait la moitié, sommait son lieutenant, placé en face, de lui faire raison, et lui tendait la corne, que ce dernier achevait ; puis de siège en siège, chaque homme sommait ainsi son vis-à-vis, et les toasts se succédaient indéfiniment au milieu des causeries et des chants. Cette ivrognerie quotidienne avait son code de belles manières : un viking devait être un buveur adroit autant que solide. Le grand art consistait à vider la moitié de la corne sans laisser tomber une goutte de la liqueur ; on renversait la tête, on baissait la corne de manière que la liqueur pût tomber dans la bouche sans que le vase touchât les lèvres, tour d’adresse que les paysans et le peuple de diverses régions pratiquent encore, puis lorsque la corne était à moitié vidée, on la redressait d’un coup sec. Les repas se passaient exactement de la même manière à la table des rois du Nord, à cette différence près que lorsque des femmes y assistaient, — elles se tenaient sur une estrade élevée transversalement à l’extrémité de la salle, — et qu’aussitôt après les gâteaux et les friandises, auxquels les guerriers ne touchaient jamais, elles se levaient, laissant les hommes à leurs libations, coutume que la société anglaise a retenue jusqu’à nos jours. On voit à quel point Shakspeare a été