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toute l’histoire de la dynastie d’Harald Haarfagr avec le relief puissant qu’il sait donner à tous ses récits et la vie dont il sait animer la moindre figurine historique qu’il présente, est le résultat probable d’une étude entreprise pour éclaircir les rapports si intimes, mais si compliqués et si obscurs qui ont uni avant et après la conquête danoise l’Angleterre saxonne et les pays Scandinaves. Tous ceux qui connaissent Thomas Carlyle savent, sans que nous ayons besoin de leur en donner l’assurance, qu’ils trouveront dans son livre toute parcelle d’héroïsme, tout acte valant la peine d’être connu ou toute parole valant la peine d’être retenue, qui peuvent se rencontrer dans ces vieilles annales du Nord. Tout ce qu’il y a eu d’humain en Norvège pendant plus de trois longs siècles est contenu dans ce volume court, mais dense de faits et de caractères comme une vieille peinture de Van-Eyck ; le reste est affaire d’érudition pure ou de curiosité. Combien un tel livre est fait pour inspirer le regret que ce moyen âge anglais, dont Carlyle a dit si souvent qu’il était l’époque où l’Angleterre avait été plus particulièrement fertile en hommes vraiment grands, n’ait pas trouvé en lui son historien et son juge !


I. — LES VIKINGS DE JOMSBURG

A l’époque où nous transporte le récit de M. Dasent, c’est-à-dire vers la fin du Xe siècle, l’aventureux esprit d’entreprise des hommes du Nord avait subi une altération radicale, conséquence de la transformation bienfaisante que traversaient alors les contrées Scandinaves. La vieille féodalité barbare, plutôt vaincue par la nécessité des temps que par le déclin des qualités guerrières et du féroce esprit de liberté qui l’avaient jusqu’alors maintenue, cédait partout la place à l’élément monarchique ; aux mêmes années et presque aux mêmes heures, Gorm en Danemark, Éric en Suède, Harald Haarfagr en Norvège, jetaient les fondemens des trois monarchies du Nord, royautés d’abord bien imparfaites, bien rudimentaires et bien grossières, mais qui étaient tellement voulues par la nécessité qu’au bout de moins d’un siècle elles avaient acquis une force inéluctable, avaient revêtu leur forme parfaite, s’étaient conquis un renom équivalant à ce que nous appelons la gloire, et que même l’une d’elles, celle de Danemark, s’était élevée jusqu’à la splendeur la plus magnifique. C’est ici l’occasion de faire une remarque qui a son intérêt. Tous les peuples européens, même les plus infimes, ont tour à tour exercé la suprématie sur notre continent ou ont eu leur heure de prépondérance ; seul le Danemark semble faire exception à cette règle générale, et se présente dans l’histoire toujours faible ou toujours malheureux ; cependant il a eu son heure comme