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changemens de résidence, avant l’ouverture des procédures, la plupart des inspecteurs-généraux de district (supervisors), afin que ceux d’entre eux qui pouvaient être coupables fussent hors d’état d’avertir et de protéger leurs subordonnés. Les lettres contenant les nouvelles nominations étaient parties, lorsque le président, de sa seule autorité, télégraphia aux inspecteurs-généraux de demeurer à leur poste. Il en donna pour raison à son ministre que des élections allaient avoir lieu en automne et que l’influence de ces inspecteurs-généraux sur leur personnel pouvait être utile au parti républicain. C’est ainsi que dans l’esprit du président l’intérêt de son parti se confondait avec l’intérêt public, si même il ne le primait pas. Les poursuites furent différées, des indiscrétions furent commises et l’éveil donné aux coupables. Néanmoins Avery, chef de division à la trésorerie, Mac-Donald, inspecteur-général du district du Missouri, nommé à ce poste en 1869 par le président, malgré les représentations des deux sénateurs du Missouri, Joyce, receveur des contributions du district, et un certain nombre de distillateurs, traduits devant le jury du Missouri, à Saint-Louis, furent condamnés à l’amende et à l’emprisonnement. La procédure était dirigée par le procureur du district, M. Dyer, et l’avocat de la trésorerie était un ancien sénateur du Missouri, M. Henderson, dont le réquisitoire fit sensation. Les débats avaient révélé qu’une instruction avait été commencée contre les prévenus par un des commissaires de la trésorerie, M. Douglas, mais qu’elle avait été abandonnée sur une lettre écrite par le général Babcock, secrétaire particulier du président et chef de son cabinet. M. Henderson s’éleva contre la conduite de M. Douglas, qu’il taxa de déplorable faiblesse, et il continua en ces termes :


« Douglas ne devait tenir aucun compte des ordres, ni du président, ni de Babcock, ni d’aucun autre. Il devait s’en tenir à son devoir, qui était tracé par la loi, ou résigner ses fonctions. Il serait à désirer que nos fonctionnaires eussent un peu plus de cette fière indépendance que montraient les fonctionnaires d’autrefois. Pourquoi ne quittent-ils pas leurs places, dès qu’ils ne peuvent plus les garder avec honneur ? Combien de temps croira-t-on encore que le fonctionnaire est l’esclave de celui qui lui a donné sa place ? Nous aurions peu gagné à abolir l’esclavage, si le noir n’avait été libéré que pour charger de chaînes le fonctionnaire blanc. Une belle parole de Henry Clay : « mon devoir avant la présidence, » vaut mieux que toutes les tirades libérales de notre époque. Douglas a cédé : il était honnête, je le crois, mais il était pauvre. Il a eu peur de perdre sa place s’il n’obéissait pas à ceux qui avaient le pouvoir en mains. »