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mouton, mais la place ne manque pas pour créer des prés artificiels, et l’on a calculé que le Japon pourrait nourrir 28 millions de moutons produisant chacun 5 livres de laine par tonte. Le sol volcanique est d’une fertilité remarquable ; mais le climat constamment humide ne convient pas à toutes les cultures ; c’est ainsi que les fruits du pays sont dépourvus de saveur et ceux qu’on a transportés d’Europe perdent rapidement leur goût. Le thé, le tabac, poussent en abondance et suffisent largement aux besoins de la population, qui en fait une grande consommation. Il est impossible de connaître le chiffre des récoltes, mais on connaît le chiffre des exportations qui, pendant les six premiers mois de 1875, s’est élevé pour le thé à 7,327,000 catties, pour le tabac à 1,855,000 catties. Le coton ne suffit pas au contraire aux habitans. On recueille encore le camphre, la cire végétale, le miel, le sea, weed, sorte d’herbe marine comestible très goûtée en Chine ; le chanvre japonais est réputé pour ses qualités particulières et coté sur la place de Londres au-dessus de toutes les autres provenances de même espèce, mais il n’atteint le marché européen que grevé de tels frais, qu’il ne peut rivaliser avec les produits moins coûteux de Manille et d’Europe. Enfin le ver à soie, exempt jusqu’à présent des maladies qui l’ont atteint en Europe, prospère dans presque toutes les vallées du centre et fournit au commerce non-seulement des cocons, mais des graines longtemps recherchées des éducateurs de Provence ou d’Italie, et des soies filées de qualité inférieure. En résumé, le Japon, quoique dénué de bétail, est richement doué sous le rapport des produits agricoles, la pêche y donne des résultats considérables et prend une place prépondérante dans l’alimentation. Grâce à cette abondance naturelle, le sol suffit sans peine à nourrir ses habitans.

Telle est la matière ; quel est l’artisan ? Le travailleur japonais, l’homme des champs, l’ouvrier des villes, est généralement intelligent, ingénieux, de mœurs douces et même joviales, d’un commerce plus aimable à coup sûr que la plupart des hommes de même condition dans beaucoup de pays civilisés. Il est plutôt actif que laborieux et plutôt patient qu’énergique. Il remplit sans trop gémir la tâche immédiate nécessaire à lui assurer la subsistance de la journée ; mais là s’arrête son effort. Il ne cherche ni à améliorer sa condition, ce que les lois ne lui permettent guère, ni à grossir ses économies ; il ne rêve pas de devenir un capitaliste ; imprévoyant au suprême degré, dès qu’il a quelque argent disponible, il le dépense en amusemens. A-t-il le nécessaire, il ne songe pas à se procurer le superflu. Jamais on ne le voit se surmener en vue d’un gros bénéfice, se hâter de terminer une tâche pour en aborder une autre. Si vous- commandez à un ouvrier un travail quelconque, il vous demandera toujours plus de temps qu’il n’en