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développement où il est aidé par les exemples, les leçons, les conseils de l’Europe, qu’il suit parfois avec plus de sagacité qu’il ne met de bonne volonté à les écouter. Dans cette voie, il lui reste de longues étapes à parcourir. Dans quelles conditions se trouve-t-il pour aborder cette vaste entreprise ? Quelles sont ses ressources ? Sur quels secours extérieurs peut-il compter ? Quelles difficultés intérieures a-t-il à craindre ? Enfin le génie de la race sera-t-il à la hauteur de ses ambitions ? C’est ce que nous nous proposons d’examiner. Les peuples ont comme les malades leurs époques de crise, d’où ils attendent le salut ou la mort ; le médecin, les amis se demandent, pleins de crainte et d’espoir, dans quel état de forces le patient abordera l’épreuve décisive.


II

La superficie totale des 3,800 îles qui composent le Japon est de 23,286 ri carrés, soit 2,800 myriamètres carrés ; elle est divisée en 65 kem ou préfectures, plus 3 fu ou capitales, comprenant au total 63,659 villes, villages ou hameaux, et renfermant 33 millions d’habitans, s’il faut s’en rapporter aux recensemens faits jusqu’à présent. Mais on a peine à croire que la population soit aussi dense quand on a parcouru les déserts qu’on rencontre dès qu’on s’éloigne des sentiers battus pour gagner les montagnes qui occupent une bonne partie du pays. On n’a pas encore calculé la surface cultivée ; elle produit un revenu d’environ 32 millions de koku[1] de riz supportant une taxe de 11,650,000 koku. A part le produit des douanes, qui s’est élevé pour 1875 à 1,500,000 piastres, la principale ressource du trésor est l’impôt foncier, qui est à la fois écrasant et inégal, puisqu’il varie entre 35 et 50 pour 100 du revenu net des propriétés. On ne peut échapper à la nécessité de dresser le cadastre général en vue de la péréquation de l’impôt ; mais, si l’on songe aux difficultés qu’un pareil travail soulève en France, où l’on possède tous les élémens d’appréciation, on ne peut qu’être effrayé des obstacles qu’il rencontre ici, alors qu’il n’existe même pas une mensuration exacte du pays, ni une commune mesure de dimensions ou de prix. La situation du Japon à cet égard est pire que celle de la Turquie, et ce n’est malheureusement pas le seul point de rapprochement qui s’offre à l’esprit. Le mode de paiement ne donne pas moins d’embarras que l’assiette de l’impôt. Autrefois le paysan payait en nature sur sa récolte, et le gouvernement n’ayant à solder que des dépenses locales, se libérait à son tour en donnant des sacs de riz à ses employés, à ses pensionnaires.

  1. 21 millions d’hectolitres.