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retarderont longtemps encore une refonte générale des lois en harmonie avec le nouveau régime politique et les exigences de la civilisation moderne. Dans le droit pénal, dans la législation civile et administrative, le jurisconsulte européen retrouvera pendant longtemps des lacunes, des prohibitions ou des pénalités qui, en attestant l’originalité d’une race exotique, choqueront ses notions d’ordre et d’équité. C’est en effet dans ce domaine que les Japonais acceptent le moins volontiers les conseils dont ils croient pouvoir se passer et les changements dont ils redoutent la portée. Il en est ainsi toutes les fois que des nations de culture différente entrent en contact ; si l’on est forcé de se rendre à l’évidence quand on voit rouler des chemins de fer et marcher des bateaux à vapeur, et de reconnaître la supériorité de ces engins mécaniques, la perfection des lois ne parle qu’à l’esprit et ne s’impose pas avec la même nécessité. Il n’y a pas entre deux races différentes une commune mesure à laquelle elle puisse être rapportée, et c’est dans la prééminence qu’il accorde à son organisation sociale, à ses traditions domestiques, à ses mœurs, que l’orgueil national, battu sur un point, se retranche obstinément. Nous avons essayé précédemment[1] de donner une esquisse de l’ancien droit coutumier. Aujourd’hui que la vieille constitution a été renversée, le système législatif qui l’accompagnait est tombé avec elle, et c’est le chaos qui leur a succédé. Nous n’entreprendrons pas d’en présenter le tableau ; il nous suffira de dire que, dans l’état actuel, il n’est pas un Européen soucieux de sa dignité qui voulut s’y soumettre, et par là se trouve arrêté et court l’ambition d’imposer aux étrangers la juridiction indigène.

Cependant quelques réformes partielles ont été accomplies : une tentative a été faite pour séparer le pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif ; elle a abouti sinon à un divorce, réel, du moins à une distinction d’attributions qui en ouvre la route. Les fonctions de juges qui étaient exercées par les gouverneurs de provinces ont été remises à des magistrats spéciaux ; des tribunaux de première instance sont installés dans 65 ken (division correspondant à notre département) ; un second degré de juridiction a été institué : il est représenté par quatre cours qui se divisent le territoire de l’empire et délèguent des membres pour faire deux fois par an un circuit dans le ressort. Les règles fondamentales de notre organisation judiciaire, sont observées ; mais l’institution du jury a paru avec raison prématurée ; quant à la procédure civile et criminelle, elle est loin d’être entourée des garanties que nous sommes habitués à regarder comme nécessaires. Au-dessus de ces cours est placée

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1875.