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négociations pour obtenir l’admission des ministres résidens en présence du souverain, il aurait vu avec surprise, le 2 janvier dernier, les principaux Européens employés par le gouvernement admis à venir saluer l’empereur et l’impératrice et introduits par un chambellan en frac, chamarré d’or, en présence de leurs majestés, qui répondaient aux saluts par une légère révérence. Il serait encore plus surpris de reconnaître quelques-uns des anciens hommes à deux sabres parmi les promeneurs, vêtus de redingotes étriquées et chaussés de bottines trop larges, qui circulent pacifiquement, le parapluie sous le bras. Enfin, ce qui le dérouterait par-dessus tout, c’est la quantité de noms nouveaux qu’il entendrait employer pour désigner certaines fonctions, certaines institutions et jusqu’à des divisions territoriales. Que si toutefois, remis d’un premier étonnement, il allait au fond des choses et se demandait quels changemens réels se sont accomplis, sous ces métamorphoses extérieures, il découvrirait peut-être qu’au demeurant, sous d’autres habits se cachent les mêmes cœurs, sous d’autres noms fonctionnent les mêmes choses, et qu’il retrouve les Japonais à peu près tels qu’il les a laissés. C’est là une vérité trop naturelle pour que l’on s’en irrite, mais que les peuples en voie de se transformer n’aiment pas à entendre. Le progrès véritable n’est pas l’œuvre d’un jour, ni d’un décret ; il faut du temps, beaucoup de temps, à une nation pour se donner une éducation toute nouvelle, et si l’effort et l’activité peuvent aider l’action des années, elles ne suffisent pas pour la remplacer. La civilisation se compose avant tout de matériaux intellectuels, qui ne se forment pas du jour au lendemain dans une nation, mais s’y déposent lentement et comme par alluvion.

Si l’on essayait de ramener à un mobile dominant tous les changemens auxquels nous assistons, on le trouverait sans doute dans ce besoin de paraître, dans ces exigences de la vanité, qui forment le trait saillant du caractère japonais. De là un grand nombre d’innovations dont on ne comprend pas la cause ou le but efficace, et qui coûtent souvent au pays plus cher qu’il ne serait sage de les payer. On se demande, par exemple, pourquoi des uniformes de sénateurs ont remplacé l’ancien costume dont le pays pouvait fournir l’étoffe, pourquoi, dans les cérémonies, on voit tous les fonctionnaires d’un grade inférieur affublés d’habits noirs où ils grelottent, pourquoi la construction des chemins de fer précède celle des routes, pourquoi enfin l’on fait à si grands frais des choses qui ne seraient pas moins utiles entreprises sur un pied plus modeste. La réponse qui s’impose à toutes ces questions, c’est qu’il faut frapper les yeux et montrer à l’Europe, coûte que coûte, le décor de la civilisation ; mais ces tentatives maladroites, ces tâtonnemens, ces mesures inconsidérées ou excessives sont ordinairement