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son autorisation. Mulligan raconta le lendemain cette scène au comité devant lequel il était cité : il accusa M. Blaine de l’avoir trompé en promettant de rendre les lettres après les avoir lues : il fit un tableau dramatique du désespoir dans lequel la vue des lettres et la menace de la publication avaient jeté le représentant du Maine. L’émoi fut grand dans Washington. La visite faite par M. Blaine à un témoin avant sa comparution, le détour dont il s’était servi pour rentrer en possession des lettres, son obstination à les conserver : tout cela semblait suspect. Le comité demanda à voir les lettres. M. Blaine refusa de les communiquer, en s’étayant de l’avis de deux jurisconsultes, et en affirmant qu’elles n’avaient aucun rapport avec les 64,000 dollars qu’on l’accusait de s’être fait donner. Le comité demanda au moins communication de l’analyse que Mulligan avait faite des lettres sur une feuille volante dont M. Blaine s’était emparé en même temps que des lettres elles-mêmes. M. Blaine refusa encore. L’impression causée par ce refus fut si grande et si fâcheuse que l’on considéra la candidature de M. Blaine comme perdue. Sans aucun doute, c’était par un indigne abus de confiance que ces lettres ne lui avaient pas été rendues, et l’usage qu’on en voulait faire contre lui trahissait quelque honteux marché ; mais il semblait que le soin de son honneur et le souci d’établir son innocence devaient faire taire chez lui toute autre préoccupation. On était à huit jours de la réunion de la convention républicaine : M. Blaine dut revenir sur sa détermination. Il recourut de nouveau à la voie d’une explication au sein de la chambre. Il couvrit de confusion l’un de ses plus ardens détracteurs, le président du comité d’enquête, en établissant que celui-ci avait reçu, depuis cinq jours, une dépêche de Londres qui mettait à néant l’accusation relative aux 64,000 dollars, et qu’il n’en avait encore fait connaître le contenu à personne. Il fit alors donner lecture des lettres qu’il avait reprises à Mulligan, afin que le texte en figurât dans les procès-verbaux de la chambre. Ces lettres n’avaient, comme l’avait déclaré et comme Mulligan avait fini par le reconnaître, aucun rapport avec le vote des subventions à l’Union Pacific Railroad, mais cette publication n’en fut pas moins fâcheuse pour M. Blaine. Les lettres établissaient qu’il avait été en relations suivies avec la plupart des entrepreneurs de chemins de fer, qu’il s’était occupé activement du placement des titres émis par eux, et qu’il avait reçu, pour ces placemens, des commissions importantes. Ce genre d’opérations n’avait rien que de licite chez un simple particulier, mais il n’était pas une recommandation chez un homme public, et surtout chez un candidat à la première magistrature de son pays. M. Blaine ne devait pas tarder à en avoir la preuve, car plusieurs