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ne lui fût offerte dans des circonstances qui lui fissent un devoir impérieux de l’accepter, circonstances qu’il n’était pas probable de voir surgir. »

Ces réserves n’étaient pas faites pour édifier sur les véritables intentions du général Grant : il devenait évident qu’il attendait les événemens pour prendre un parti. Quelles étaient les éventualités qui pouvaient lui paraître assez graves pour qu’il cherchât ou qu’il acceptât le renouvellement de ses pouvoirs ? Avait-il en vue une guerre avec l’Espagne au sujet de Cuba, ou avec le Mexique à raison des incursions dont se plaignait le Texas, des difficultés avec l’Angleterre au sujet du traité d’extradition ou des pêcheries du Labrador ? On essaya vainement de le sonder. « Le ciel seul sait ce qui peut arriver, » telle fut l’unique réponse du sphinx de la Maison-Blanche.

S’il se taisait, il agissait comme le plus avisé des candidats. Il avait jugé nécessaire de pacifier la Louisiane : il y parvint par un compromis qui maintenait son ami personnel, M. Kellog, dans les fonctions de gouverneur, en attribuant le pouvoir législatif aux deux chambres qui soutenaient son compétiteur : arrangement bizarre qui donnait tort et raison à la fois aux deux partis, mais qui rétablit la tranquillité. Un peu plus tard, un conflit ayant éclaté dans le Mississipi, le président refusa au gouverneur Ames l’appui des forces fédérales, et il usa de la même circonspection lorsque des désordres se produisirent en Géorgie dans le mots de septembre. Conduite toute nouvelle qui avait pour objet d’enlever tout grief aux défenseurs du sud. L’été et l’automne de 1875 furent employés par le président en excursions qui étaient pour lui autant d’occasions d’évoquer les souvenirs glorieux du passé, de remettre en mémoire ses services et de réchauffer le dévouaient de ses anciens compagnons d’armes. Tous les discours qu’il prononça eurent une portée politique. Savoir discerner le courant de l’opinion et se faire porter par ce courant, telle a toujours été, pour un candidat à la présidence, la condition essentielle du succès : personne, à cet égard, n’a fait preuve de plus de pénétration et de sagacité que le général Grant.

Une question divise profondément les esprits aux États-Unis, c’est celle du papier-monnaie émis pendant la guerre et auquel on a donné le cours forcé. Faut-il maintenir ce papier-monnaie dans la circulation ou le retirer, conformément à l’engagement qui a été pris par le congres, et revenir aux paiemens en espèces ? Les populations de l’ouest et celles du nord sont à cet égard d’un avis opposé. La guerre civile a donné lieu, dans la vallée du Mississipi, à un mouvement d’affaires prodigieux qui s’est prolongé jusqu’en