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éternel problème oriental devant lequel l’Europe se retrouve toujours, et si la diplomatie n’en est point à échanger des vues et des confidences, si elle a déjà médité sur ses plans d’opérations, les cabinets ne semblent pas fort avancés dans l’œuvre de médiation, de pacification qu’ils se promettent d’entreprendre. On dirait que l’Europe se sent embarrassée et inquiète devant ce grand et redoutable inconnu qui l’obsède. Il est bien certain en effet que la paix fût-elle signée, la question reste entière avec toutes ses difficultés aggravées par ces massacres récens de la Bulgarie, par la situation incertaine et précaire que la maladie du sultan Mourad crée à Constantinople, par la nécessité de régler en même temps les conditions de l’Herzégovine, de la Bosnie. En un mot, c’est toute cette affaire d’Orient qui s’impose aux délibérations de la diplomatie ; mais de toute façon il n’y a certainement qu’une politique efficace et rassurante. Quelle que soit la divergence des intérêts, il y a une considération supérieure à tout, celle de la paix générale, et cette paix, aussi utile à la Russie, à l’Autriche, à l’Angleterre, à l’Allemagne qu’à la France, l’Europe ne peut la maintenir que par l’accord de toutes les puissances appelées à préserver ensemble l’Occident des conflagrations dont l’Orient reste le foyer incandescent.

Cette crise orientale n’est point sans avoir un retentissement assez sérieux en Angleterre, où les scènes barbares qui ont ensanglanté la Bulgarie ont surtout causé une vive émotion dont lord John Russell s’est fait l’écho. Le parlement s’est séparé cependant sans qu’il y ait eu une discussion sérieuse sur les affaires d’Orient. Lord Derby n’a point eu à s’expliquer dans la chambre des pairs et M. Disraeli, le chef du cabinet, n’aura plus lui-même à s’expliquer, du moins dans la chambre des communes. Le voilà, au lendemain de la fin de la session, élevé à la pairie sous le titre de comte de Beaconsfield. Peu de fortunes auront été plus merveilleuses dans cette Angleterre d’aristocratie terrienne et de patriciat politique. Romancier ingénieux et mordant, l’auteur de Coningsby avait à triompher de la défaveur qui s’attachait à ses succès mêmes d’écrivain pour devenir un homme sérieux. Ce n’est que par des efforts de volonté et de talent qu’il est arrivé à dompter la chambre des communes, à être le premier dans son parti avant d’être le premier au pouvoir. Homme de naissance obscure et même d’ancienne origine israélite, il arrive aujourd’hui à la pairie. Ce ne sera plus M. Disraeli, ce sera lord Beaconsfield. Pendant quarante ans, il a passionné la chambre des communes ; réussira-t-il au même degré dans la chambre des pairs ? Dans tous les cas, il n’y a qu’un lord de plus, et le ministère anglais reste ce qu’il était.

La mort fait son œuvre impitoyable dans les lettres comme dans la politique. Elle a récemment atteint M. Wolowski, un sénateur inamovible qui reste à remplacer, un sérieux et savant économiste qui depuis quelques mois s’acheminait lentement vers sa fin, et M. Wolowski n’est