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a pourvu au maintien de la seconde portion du contingent sous les drapeaux pendant une année ; ce qu’il y a eu d’équivoque, de médiocre, c’est ce que l’esprit de parti a suggéré. Il faut se dire une bonne fois qu’il y a un certain nombre de services publics, et les affaires militaires, la diplomatie, sont au premier rang, qui ne doivent sous aucun prétexte payer les frais des luttes d’opinion ou de faction. M. le général Berthaut entre sans nul doute au ministère de la guerre avec cette pensée de poursuivre une œuvre nationale sans défi, sans provocation, à l’égard d’une majorité impatiente, mais aussi sans complaisance pour des économies prétendues républicaines ou pour des réformes de fantaisie. Il est la première sentinelle de l’armée, et en gardant son rôle à part dans le cabinet, en défendant les vrais intérêts de l’armée, il ne risque pas d’être relevé de son poste par l’opinion.

Qu’on laisse de côté tant de questions vaines, irritantes ou puériles, qui font souvent plus de bruit qu’elles ne valent, il en reste encore assez pour occuper les esprits réfléchis, et une des plus graves, sans parler des affaires militaires, est certainement cette question de la population que M. Léonce de Lavergne vient de remettre au jour. Les tacticiens de parlement peuvent jouer avec les majorités et nouer des coalitions ou renverser des ministères tant qu’ils voudront ; les esprits spéculatifs peuvent disserter sur le progrès et s’égarer dans des théories à perte de vue. Il y a toujours un premier fait simple et inexorable qui est le fondement de tout, avec lequel il faut absolument compter. Où en est la population en France ? Quelle marche suit-elle ? Est-elle en progrès ou en décroissance ? Dans quels rapports de proportion se trouve-t-elle avec la population des autres pays ? Il y a longtemps déjà, il y a vingt ans au moins que M. Léonce de Lavergne ne cesse d’appeler l’attention des économistes, des hommes politiques sur ce grave et inquiétant problème, en signalant à chaque recensement la stagnation ou la décroissance de la population française[1]. Il y revient aujourd’hui en poussant plus que jamais le cri d’alarme, et puisque M. le ministre de l’intérieur, M. le ministre des travaux publics, se trouvaient l’autre jour dans un comice agricole, ils auraient pu à leur tour, sans déroger, au risque de congédier un peu la politique, s’occuper d’une question qui touche de près l’agriculture et la prospérité nationale. Que cette crise dans le mouvement de la population française se soit manifestée avec une recrudescence particulière en 1870 et en 1871, ce n’est que trop justifié par les épreuves de ces terribles années, qui ont eu naturellement pour conséquence d’accroître la mortalité en diminuant le nombre des mariages et des naissances. Malheureusement il est bien clair que, si les événemens ont eu une influence meurtrière qui se traduit en chiffres douloureusement significatifs, ce phénomène n’est point acci-

  1. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1857, l’Agriculture et la population en France.