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dévenu à la sueur de son front. Soit qu’il interrogeât avec acharnement le soleil du midi et qu’il le sommât, de lui apprendre à faire vibrer la lumière, soit qu’il mit son étude à composer de merveilleuses variations sur une seule couleur dont il épuisait tous les tons, c’était toujours un conquérant occupé d’accroître son empiré. Il avait conquis l’Espagne, conquis le Maroc ; il aspirait à s’emparer des Indes. L’art était pour lui un palais mystérieux, plein de chambres fermées ; son ardente curiosité s’était promis de forcer toutes ces portes. Il aimait à répéter ce mot de Beethoven : « Il faut vivre mille fois sa vie, et c’est ainsi que je veux vivre et au besoin bravement prendre la destinée à la gorge. » Ne semble-t-il pas qu’au soir de Buzenval, entraîné par quelque irrésistible passion, il ait jeté un défi à la mort, comme à une nouveauté dont il voulait avoir le secret ? Et pourtant cet audacieux, ce violent avait du charme, il en avait beaucoup ; sa passion savait sourire. On devinait des douceurs cachées dans ses yeux clairs, souvent froids comme l’acier. Sa correspondance est pleine d’attrait ; sa plume avait de la grâce, et il y avait de la magie dans son talent. Il n’est pas une de ses toiles où l’on ne remarque a des tons d’une extrême fraîcheur, qui viennent tempérer l’éclat trop ardent parfois de la lumière intense. » C’est le charme qui manque au Regnault en bronze de M. Degeorge. Il n’est pas seulement fier, il est provocant, dur et farouche. Rien dans son visage n’annonce la précocité du génie et de la mort. Cet Africain, ce Berbère a quarante ans accomplis. Tout est jeune dans son monument, excepté lui.

Que dirons-nous de la statue de marbre qui lui présente un rameau, de cette Jeunesse dont le succès a été si grand au Salon de l’an dernier, œuvre exquise où la grâce antique se marie à la nouveauté du sentiment ? Ingres se fâcha un jour contre une femme qui s’écriait en regardant sa Source : « O la belle, la charmante Naïade ! — Madame, riposta vivement l’artiste, pardonnez-moi, ce n’est pas une naïade, c’est une source », » La Jeunesse de M. Chapu n’est pas une divinité, ce n’est pas une Hébé, ce n’est pas la déesse Juventas ; c’est une jeune fille, une adolescente, très humaine, une vraie fille de la terre, qui n’a point bu le nectar, qui n’a point mangé l’ambroisie ; elle n’a de divin que l’adorable pureté de l’expression. Elle ne siège point sur un piédestal, elle est de niveau avec le commun des mortels. Se haussant sur la pointe de son pied gauche, elle a posé son genou droit sur un degré ; d’une main elle s’appuie au cippe qui porte l’image de son héros ; de l’autre, allongée et tendue, elle lui offre son hommage. Son attitude, son geste, ses cheveux, les plis de son chaste vêtement, tout dans sa personne respire les douceurs de ce miel que distillaient seules les abeilles de l’Hymette. Elle est la sœur de ces abeilles, elle est aussi de la même famille que les chevaux et les cavaliers de la frise du Parthénon qui galopent autour