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de l’humanité celui qui correspond à l’époque actuelle ? Rappelons d’abord que nous avons établi quatre grands stades marquant les quatre phases principales de la vie des sociétés, l’enfance, la jeunesse, l’âge viril, la vieillesse, et que voulant les désigner par les traits qui les caractérisent le mieux, nous les avons appelés période de formation politique, cycle de floraison esthétique, ère de maturité scientifique, époque de décomposition organique. Rappelons aussi que la plupart des tribus humaines s’éteignent dans les tâtonnemens de la première période, que très peu arrivent à la seconde, et que la famille aryenne paraît jusqu’ici la seule qui puisse, atteindre la troisième. C’est donc dans ce dernier groupe que nous devons circonscrire notre champ d’études. Or si d’un côté on observe que toutes les nations indo-européennes sont depuis longtemps constituées, et si d’un autre côté on met en regard des monumens de toute sorte produits par la littérature et par les arts plastiques, l’éclosion tardive de la science, les lenteurs de son rayonnement, le peu de place qu’elle occupe encore dans la conduite des hommes, dans l’économie des gouvernemens et des sociétés, on conclura aisément que c’est en pleine floraison esthétique que se trouvent les peuples qui marchent aujourd’hui à la tête de la civilisation. L’art, qui est le trait caractéristique de l’adolescence des nations, a choisi comme centre d’éclosion les races gréco-latines pour rayonner de là dans les autres pays. Ces races sont-elles également propres à inaugurer l’ère scientifique ? C’est ce que l’avenir seul pourra nous apprendre. Il serait téméraire de compter sur les institutions pour changer les aptitudes naturelles. On a beaucoup exagéré, surtout depuis Machiavel, la part des institutions, de l’initiative individuelle dans les destinées des peuples. Loin de nous la pensée de nier le rôle que jouent les croyances, les mœurs, les lois imposées à un pays par un législateur ou par les nécessités locales. Il suffit de comparer les nations asiatiques, coulées depuis des siècles dans le moule du bouddhisme, avec les peuples de l’Europe, pétris par le christianisme, ou le monde arabe, façonné par l’islam, l’immobilité des vieilles monarchies orientales avec l’activité fiévreuse que la jeune Amérique puise dans ses institutions démocratiques. L’action des institutions ressemble à celle que le jardinier exerce sur les arbres d’un parc. Il peut percer des allées, écarter des troncs les plantes parasites, émonder les grosses branches, entretenir des carrés de verdure, donner à force de soins et de patience une certaine régularité géométrique à tous ces massifs ; il ne change en rien la marche ni l’activité de la sève. Que son travail s’arrête un seul jour, et aussitôt la végétation de reprendre sa marche envahissante et le parc de redevenir une forêt. Il en est de