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et le successeur du général Grant serait certainement un démocrate.

Dans ce déplacement de 1,2,00,000 voix, le contingent le plus fort avait été fourni par les défectionnaires du parti républicain, par les libéraux. Ceux-ci avaient-ils cédé à un entraînement passager, ou resteraient-ils fidèles à l’alliance qu’un mouvement de l’opinion leur avait fait contracter ? Nombre d’hommes influens avaient été immédiatement adoptés par le parti démocratique, qui les avait portés aux honneurs. Ne retiendraient-ils pas, sous leur nouveau drapeau, une partie de ceux qui les avaient suivis ? Leur fortune rapide ne tenterait-elle pas beaucoup d’ambitieux, séduits par la perspective des milliers d’emplois qu’un changement d’administration mettrait à la. disposition des vainqueurs ? Il était évidemment à craindre que la coalition qui venait de se former ne subsistât assez longtemps pour rendre possible l’élection d’un démocrate à la présidence, et mettre fin pour bien des années à la domination du parti républicain.

Les élections du printemps de 1875 jetèrent donc les républicains dans une consternation profonde. Tous ceux qui avaient profité du régime arbitraire auquel le sud était soumis depuis la fin de la guerre, se sentirent menacés dans leurs intérêts. Les titulaires des 80,000 emplois fédéraux qu’il a fallu créer pour percevoir les impôts nouvellement établis ou pour administrer les services dont le pouvoir central a pris la direction, entrevirent dans l’élection d’un démocrate à la présidence la perte de leurs fonctions, Enfin l’église méthodiste, qui aspire à s’emparer de l’esprit des nouveaux affranchis, et qui redoute la concurrence du catholicisme, ne pouvait entrevoir qu’avec appréhension la chute d’un régime sous lequel la protection spéciale du président Grant lui valait toutes les faveurs. Comment prévenir un changement d’administration ? Où était le candidat dont le prestige serait assez fort pour changer le courant qui emportait les masses vers le parti démocratique ? On n’en apercevait aucun. Le parti républicain avait à sa tête des hommes de mérite, mais pas un seul dont la popularité et l’influence s’étendissent au-delà des limites de son état natal. La personnalité du général Grant effaçait tellement toutes les autres, qu’aucun nom ne pouvait être mis en balance avec le sien. Avec lui, la victoire semblait certaine ; avec un autre candidat, la lutte paraissait à peine possible.

Son prestige n’était-il pas intact, malgré toutes les accusations dont il avait été l’objet ? Quelque part qu’il allât, n’était-il pas accueilli avec des transports d’enthousiasme ? Ne voyait-on pas partout ses anciens compagnons d’armes se presser sur ses pas ? N’était-il pas, à juste titre, l’idole des républicains du sud ? Son