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civilisation se reflétant dans le langage, les langues mortes révèlent aux philologues les côtés les plus saillans de la vie des sociétés. Le véda nous montre un peuple enfant tout entier à ses occupations pastorales et agricoles ; dans le sanscrit, qui lui a succédé, nous voyons non plus une tribu de pasteurs, mais une nation qui se forme, qui a conscience de ses destinées. Une riche littérature indique une ère de prospérité, de grandeur, une langue pauvre nous dit que le peuple qui l’a parlée a été arrêté dans son essor par quelques événemens inattendus. Telles les zones ligneuses de l’arbre accusent une saison favorable lorsqu’elles s’étalent en couches épaisses, tandis qu’elles s’amincissent quand un long hiver a retardé la marche de la sève. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ces analogies, et nous passerons à l’examen d’une autre question qui se présente comme le complément naturel de l’étude de l’évolution des peuples : nous voulons parler de l’évolution de l’humanité, envisagée dans son ensemble et dans ses rapports avec le globe qui la nourrit.


III

L’humanité peut être comparée à un immense polypier dont les ramifications, correspondant aux diverses races, s’étendent sans cesse, dans l’océan des âges. Les faits révélés par l’étude des principales branches de cet arbre ethnique sont-ils assez nombreux pour permettre le tracé de la courbe des destinées humaines ? Nous allons essayer de répondre à cette question, moins pour la résoudre, car nous sommes loin de posséder toutes les données que réclame la mise en équation du problème, que pour montrer combien les procédés d’investigation des sociologues d’aujourd’hui diffèrent des méthodes suivies par les sociologues d’autrefois. A travers la diversité des points de vue et la divergence des écoles, ces derniers offraient pour premier trait commun de poser a priori les prémisses d’où ils tiraient leurs déductions, et pour second, de voir dans l’homme moins une réalité organique qu’une abstraction métaphysique, rappelant plutôt les nuages qui planent dans l’atmosphère que l’être vivant dont le sol est le premier point d’appui. Leurs conclusions variaient autant que leurs prémisses ; mais que leur point de départ fût l’homme providentiel de Bossuet ou l’homme-triangle de Spinoza, le problème des destinées s’adressait à une race complètement différente de la nôtre, race qui aurait hérité de toutes nos grandeurs et qui se trouverait exempte de nos faiblesses, je veux dire de nos nécessités ambiantes. Tout autre est la voie suivie par les philosophes naturalistes, tout autres sont aussi les résultats.