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dans les colonies espagnoles et portugaises de l’Amérique du Sud, étaient des traductions d’ouvrages étrangers. Fille de la discussion et de l’examen, la science ne pouvait prendre racine dans un pays fermé à la libre expansion de l’idée. Ajoutons que, bien que l’inquisition ne soit plus aujourd’hui qu’un souvenir, nous n’avons pas encore complètement échappé à ses étreintes, ni à la sélection antiscientifique qui en est le corollaire immédiat. Nos préjugés, nos traditions, nos habitudes, nous imposent une sorte de science officielle hors de laquelle il est dangereux de s’aventurer ; de là les conséquences les plus fâcheuses pour le mouvement intellectuel de la nation. Nous n’en citerons qu’un exemple, mais qui est assez frappant. Dans la première moitié du dernier siècle, un savant explorateur, Benoît de Maillet, plus connu sous l’anagramme Telliamed, fit paraître sous ce titre : Entretien d’un philosophe indien avec un missionnaire français, un livre où il exposait l’origine océanique des espèces animales et leurs transformations successives. On le crut fou. Lamarck n’eut pas plus de succès lorsqu’il publia en 1809 la Philosophie zoologique, Hæckel fait à ce sujet une remarque digne d’être notée. Cuvier qui, dans son rapport sur les progrès des sciences naturelles, cite les brochures les plus insignifiantes, ne juge pas à propos de mentionner l’ouvrage de Lamarck. Un seul savant, Geoffroy Saint-Hilaire, se hasarda à défendre les idées du philosophe naturaliste, et sa voix resta sans écho. La sélection latente, amenée par les rigueurs de la science officielle, ne tarda pas à porter ses fruits, et lorsqu’en 1859 deux éminens naturalistes anglais, Wallace et Darwin, produisirent, surtout le dernier, sur la théorie de la descendance, une quantité si prodigieuse de. faits, un tel choix de preuves, que tous les esprits dégagés de préjugés furent obligés d’examiner sérieusement la nouvelle doctrine, la France resta muette, et c’est de l’étranger que nous sont venus jusqu’ici les traités publiés sur cette grande question.

A quelle époque convient-il de faire remonter les premiers préludes de la science ? Nous estimons qu’on peut fixer cette date vers la première moitié du XVIe siècle, lorsque parut le livre du Polonais Copernic sur les Révolutions des corps célestes et que les mathématiques commencèrent à prendre leur essor. L’avènement de l’esprit scientifique était impossible aux âges précédens, car les ténèbres qui enveloppèrent l’Europe pendant la longue nuit du moyen âge ne purent être dissipées que par un concours de circonstances qui ne se réalisa qu’alors. La première fut l’arrivée des savans grecs qui, fuyant les Turcs, maîtres de Constantinople (1453), vinrent chercher un asile dans l’Occident et apportèrent les trésors des connaissances de l’antiquité, d’où devait bientôt sortir la renaissance des lettres et des arts. La seconde, qui eut lieu vers la même époque, fut