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tous les obstacles semés sur la route de la science. La science est le fruit de l’arbre humain, et les causes qui empêchent ce fruit d’arriver à maturité ne sont pas moins nombreuses que celles qui entravent la fructification de la plante. On devine sans peine que ces causes tiennent à la fois aux circonstances locales et aux aptitudes des races. Ainsi l’astronomie, dont l’étude se présente en quelque sorte d’elle-même sous le ciel toujours pur de l’Égypte, eût pu difficilement éclore dans certaines régions montueuses de l’Europe, où les astres, généralement voilés par la brume, sont souvent interceptés par les nuages. Par contre la géologie, qui a pris naissance dans les Alpes et dans les autres montagnes déchirées par la main de l’homme ou par les convulsions de la nature, n’aurait jamais été soupçonnée dans la vallée du Nil, uniquement formée des alluvions du fleuve.

Souvent le cycle scientifique est interrompu dans sa marche par les guerres, les conquêtes, les révolutions ; plus souvent encore cette marche est retardée par le veto de convenances politiques ou religieuses. Un trop grand développement donné aux arts peut étouffer l’essor scientifique : témoin la Grèce, qui, après avoir brillé d’un éclat incomparable dans le domaine de l’art, s’est arrêtée, dans le domaine de la science, aux élémens d’Euclide. C’est principalement dans le degré d’énergie cérébrale, je veux dire dans les aptitudes de la race, qu’il faut chercher le levier du mouvement scientifique. L’étude comparée des langues montre que la science a pour véhicule les idiomes précis, mesurés du Nord. L’histoire du progrès de l’esprit humain vient confirmer ces conclusions tirées de la linguistique, car la plupart des grandes découvertes nous viennent des diverses contrées de l’Europe centrale ou septentrionale. Une des plus instructives que l’on puisse citer est celle qui se rapporte aux origines du calcul différentiel. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle vivaient deux éminens géomètres, Newton en Angleterre, Leibniz en Allemagne. Tous deux, appliquant la méthode algébrique de Descartes au problème des tangentes, aperçurent une voie analytique nouvelle, s’y élancèrent résolument et jetèrent les fondemens de l’analyse infinitésimale, le plus puissant instrument qui ait été révélé au génie de l’homme dans le domaine des sciences pures. Quelques années auparavant, un mathématicien de Toulouse, Fermat, appliquant le même calcul au même problème, avait entrevu de son côté une voie nouvelle, mais ne songea nullement à y entrer et laissa ainsi échapper de ses mains la gloire de cette découverte. La plupart des grands noms scientifiques dont s’honore la France appartiennent à nos provinces septentrionales. Les langues sonores du Midi se prêtent mal à la précision des méthodes analytiques. C’est en vain qu’on chercherait une grande figure scientifique parmi les