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le développement de l’instinct du beau, les aptitudes de la race tiennent le premier rang. Si la Grèce a parcouru le cycle esthétique tout entier avec un éclat qu’aucun autre peuple n’a jamais égalé, elle le doit surtout au génie de ses habitans. Le sentiment du beau était si naturel à cette race qu’il se manifeste dès l’âge de pierre, comme le témoignent les instrumens en silex trouvés dans les fouilles de l’Attique, et qui font partie de la collection préhistorique du Collège de France. On aperçoit dans la plupart des échantillons une certaine élégance de forme et d’exécution qui révèle un peuple artiste et qu’on ne retrouve dans aucun autre pays sur les objets de la même époque. Aussi la Grèce jeta-t-elle un éclat incomparable jusqu’au jour où un vainqueur brutal, dépouillant les muses helléniques de leur indépendance, fit tarir la poésie qui jaillissait de leurs lèvres et évanouir les grâces de leur sourire. Quelque grand que soit le génie d’un peuple, il devient muet dès qu’il ne sent plus le souffle de ce moteur magique, la liberté.

Après la jeunesse, l’âge mûr. De même que l’effervescence poétique de l’adolescence fait place avec les années à la réflexion, de même la phase esthétique des peuples est suivie dans le cours des siècles de ce qu’on peut appeler la phase scientifique. Cette dernière étape, qui marque le point culminant de l’évolution ethnique, ne s’est révélée jusqu’ici que par des manifestations individuelles plutôt que collectives, et semblent le privilège de quelques familles du groupe aryen. Les causes qui ont rendu ces manifestations si tardives et si restreintes méritent d’être passées en revue. Pour mieux nous faire comprendre, reprenons notre terme de comparaison, la plante. On sait que l’évolution d’un végétal peut se ramener à trois termes : formation des tissus, floraison, fructification ; mais ces termes, loin d’être égaux dans leur développement, se présentent comme les échelons d’une série décroissante. Tandis en effet que la sève toute entière concourt à la formation du tronc, des branches et du feuillage, une partie seulement se porte vers les fleurs, et ce n’est qu’une fraction de cette dernière qui arrive aux fruits. De même l’évolution de la sève ethnique peut se ramener à trois termes, correspondant à la triple éclosion politique, esthétique et scientifique, et qui dérivent aussi l’un de l’autre suivant une progression décroissante. Nous avons démontré que c’est des élémens politiques d’une nation que les lettres et les beaux-arts tirent leur racine, et c’est la pratique raisonnée de l’art qui est le premier moteur des études scientifiques. Il est enfin aisé de voir que, si toutes les forces vives d’un pays concourent à la chose publique, une partie seulement se détourne du courant commun pour entrer dans le domaine de l’art, et que très peu de ces forces ont reçu une impulsion assez vive pour fournir une nouvelle étape et vaincre