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Cette effroyable pullulation d’espèces se coudoyant, se heurtant chaque jour pour se disputer la pâture, doit amener des luttes, luttes tragiques cette fois, car il s’agit non plus de combats invisibles livrés sans bruit dans les régions souterraines des racines, mais des destructions violentes accomplies au grand jour, ayant pour prélude les cris de douleur de la victime, et pour dernier acte les palpitations des chairs sanglantes. On peut comparer la surface des continens ainsi que la profondeur des mers à un immense champ de carnage où la moitié des êtres vivans sert de proie à l’autre moitié. Ces guerres zoologiques se succèdent suivant un certain ordre rhythmique ; chaque espèce vivant aux dépens d’animaux plus faibles et servant à son tour d’alimentation à d’autres espèces plus fortes ou mieux armées. La fourmi qui chasse le puceron est traquée par une foule d’ennemis qui deviennent la proie des petits carnassiers. Ceux-ci sont poursuivis par le loup, le chien, le renard ; ces derniers tombent sous la dent du tigre. Le tigre succombe à la morsure du serpent, et est aussitôt dépecé par des myriades d’animalcules qui recommencent l’éternel cycle des destructions. Nous pouvons donc appliquer au monde animal les deux grandes lois qui caractérisent le monde végétal : expansion indéfinie des espèces à la surface du globe, et comme conséquence inévitable, guerre entre elles, en d’autres termes, « lutte pour l’existence. »

Arrivons enfin à l’homme. L’homme, n’étant que la cime terminale du grand arbre de la vie, doit présenter quelques-uns des caractères des principales branches. Certains avantages inhérens à notre espèce lui ont facilité d’une façon singulière son libre développement à la surface du globe. Nous voulons parler des armes, qui, tout en écartant le danger des bêtes féroces, procurent par la chasse un aliment des plus précieux, des vêtemens et du feu, dont l’usage permet de résister aux rigueurs des régions froides, du navire, qui relie les continens, de la facilité avec laquelle nous nous faisons à la nourriture du pays que nous habitons, que cette nourriture soit végétale ou animale, continentale ou maritime. Aussi, tandis que la plupart des tribus zoologiques sont confinées dans certaines zones terrestres, on rencontre l’homme groupé en peuplades sous toutes les latitudes.

Ces peuplades, se multipliant et s’ étendant sans cesse, finissent par se heurter, et les guerres zoologiques que nous avons vues s’élever entre les espèces animales se continuent dès ce moment entre les diverses fractions de la famille humaine. La solidarité qui doit un jour relier tous les peuples dans une action commune est un mot nouveau, et le fruit de longs siècles de civilisation. Tour le