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compilation de nos codes modernes, on sera surpris du chemin parcouru. Cela tient moins peut-être aux besoins de la civilisation qu’à la différence des races. Le décalogue de Moïse n’implique que l’idée du devoir, car le Sémite n’est qu’un esclave que Jéhovah commande et châtie. L’Aryen, plus raisonneur, plus pénétré du sentiment de la dignité humaine, s’élève à la notion du droit. Toute la science des législateurs consiste à équilibrer ces deux termes contradictoires. De là en grande partie la prolixité de nos codes.

Le temps nécessaire à l’évolution de cette première phase de la vie des peuples varie avec le génie des races ; il dépend aussi des circonstances locales. Certaines tribus humaines placées au bas de l’échelle semblent moins des agglomérations d’hommes que des hordes zoologiques ignorant quelquefois l’usage du feu et de la pierre ; ce sont des avortemens ethniques. D’autres, après avoir franchi les premiers degrés de l’état social, paraissent frappés d’un arrêt de développement et restent dans une éternelle enfance. Tels sont les Indiens du Nouveau-Monde et en général toutes les tribus qui ne connaissent pas l’usage des métaux ; car si le feu et la pierre marquent les premières étapes de l’humanité vers le progrès, le bronze et le fer sont l’élément par excellence de la civilisation et en annoncent le début. Quelquefois les élémens politiques qui constituent une grande nation sommeillent pendant de longs siècles dans une peuplade, attendant qu’une main puissante vienne les mettre en jeu. Les pâtres du Latium erraient peut-être depuis des milliers d’années, inconsciens de leurs destinées, lorsque Romulus vint discipliner ces sauvages natures et jeter les fondemens de la ville éternelle. La république continua l’œuvre commencée par les rois, et, trois siècles après sa fondation, Rome s’élançait à la conquête du monde.

Dans l’analyse que nous venons de faire des peuples en travail de formation, nous avons réduit notre champ d’étude à ses termes les plus simples. En réalité, le problème devient beaucoup plus complexe dès que, sortant de ses limites premières par son travail même de développement, un peuple vient à se heurter aux nations voisines et pénètre dans leur sphère d’action ; il se produit à ce contact de nouveaux facteurs dont il faut tenir compte, car ils offrent une importance capitale en sociologie. La lutte pour l’existence, qui était la conséquence fatale de la formation de l’individu, prend ici des proportions tellement vastes, et joue un rôle si prépondérant dans l’économie des sociétés, qu’il est nécessaire de s’arrêter quelques instans et de faire appel à la biologie pour lui demander la cause première de cette grande loi, qui domine la nature entière, et les principales conséquences qui en dérivent. Disons tout d’abord