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distribuées entre les membres du congrès pour obtenir le vote des lois de concession et des subventions en terres et en argent. L’un des hommes les plus considérables du parti républicain, M. Schuyler Colfax, ancien sénateur de l’Ohio, qui avait été vice-président de 1868 à 1872, et avait, à ce titre, présidé le sénat pendant ces quatre années, se trouva tellement compromis qu’il dut se retirer immédiatement de la vie publique. La chambre des représentans vota l’expulsion de plusieurs de ses membres ; plusieurs autres jugèrent prudent de prévenir, par une démission, un examen trop minutieux de leur conduite parlementaire. Encore le parti démocratique, à l’état d’impuissante minorité dans les deux chambres, accusait-il ses adversaires d’étouffer la vérité, et d’employer toutes les ressources et toute l’influence de l’administration à arrêter des révélations de nature à compromettre le parti tout entier. Depuis que les républicains étaient au pouvoir, disaient-ils, le Capitole était devenu une véritable bourse où les rapports des commissaires, les discours des orateurs, le vote des représentans et des sénateurs étaient régulièrement cotés, et payés sur les deniers publics. Fallait-il s’étonner des dépenses que les candidats au congrès n’hésitaient pas à s’imposer ? Si dans le Kansas, en 1871, M. Caldwell avait loué les deux plus grands hôtels du chef-lieu pour y loger et y héberger à ses frais les électeurs sénatoriaux, s’il avait remboursé à ceux-ci leurs frais de voyage en y ajoutant des gratifications et des promesses de places, enfin s’il avait dépensé ainsi en une semaine près de 100,000 dollars, si le sénateur Spencer, de l’Alabama, avait acheté, à tant par tête et argent comptant, les suffrages des électeurs nègres, si les amis du sénateur Pinchback en avaient fait autant en Louisiane, c’est que tous voulaient prendre part à la grande curée dont Washington était le théâtre. Les dépenses du candidat n’étaient qu’une avance qui serait remboursée au centuple au sénateur ou au représentant.

Tous ces scandales produisirent un véritable soulèvement de l’opinion publique. Les élections de l’automne de 1874 en ressentirent immédiatement le contre-coup. Les états d’Indiana et d’Ohio, où l’élection du gouverneur et de la législature a lieu en octobre, donnèrent des majorités considérables aux candidats démocrates, qui semblaient voués depuis dix ans à des défaites certaines. En novembre, l’état de New-York suivit cet exemple. Ce fut alors comme une marée montante dont les flots renversent tous les obstacles. Les élections du printemps suivant tournèrent, comme celles de l’automne, au profit des démocrates. Le Massachusetts lui-même, cette forteresse du parti républicain, élut, pour la première fois depuis plus de cinquante années, un démocrate au poste de