Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L'EVOLUTION HISTORIQUE
DES SOCIETES HUMAINES

Depuis la publication du Cours de philosophie positive, publication qui remonte à une quarantaine d’années, et dont les derniers volumes sont consacrés à l’exposition de la science sociale ou, pour nous servir de l’expression d’Auguste Comte, de la sociologie, il ne s’est produit aucun grand travail d’ensemble sur cette branche des études philosophiques. L’essai tenté par le fondateur de l’école positiviste était-il prématuré ? On le croirait, à en juger par le peu de faveur dont jouit en France l’économie politique, qui forme, comme on sait, la première assise de la sociologie, et dont M. Littré a pu dire avec raison qu’elle est à la science des sociétés ce que la théorie des fonctions nutritives est à la science de la vie. Ce discrédit des études économiques a été naguère officiellement proclamé à la tribune au sujet d’une pétition réclamant la création de chaires d’économie politique dans nos principales villes. L’assemblée est passée à l’ordre du jour[1] sur la proposition du rapporteur, qui déclarait « que l’économie politique n’était pas une science. » Un argument autrement grave se tire de la lecture du livre qu’un des plus éminens penseurs de l’Angleterre, Herbert Spencer, a récemment publié sous ce titre : Introduction à la science sociale. Loin de se risquer dans un essai de synthèse sociologique, le compatriote de Malthus et de Stuart Mill se contente de classer et d’analyser les difficultés d’ordre subjectif que rencontre la solution d’un tel problème. Les convictions politiques et religieuses, les préjugés de race et de caste, ceux que l’on puise dans l’éducation, les tendances naturelles accrues par des sympathies ou des antipathies inconscientes, sont autant de facteurs dont il est presque impossible

  1. Voyez le Journal officiel des premiers jours de décembre 1873.