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178 REVUE DES DEUX MONDES. commis cet homicide, qui est un suicide ? Et Perkins a conduit Mme Conroy à Markleville, où elle se cache, — encore ! — sous un nom supposé ! — Pourquoi, demande le juge, n’est-elle pas venue déposer en faveur de son mari ?

— C’est qu’elle est malade dangereusement : des émotions si cruelles ont provoqué la naissance prématurée d’un enfant.

Gabe, que l’on vient d’acquitter n’en entend pas davantage ; il s’évanouit !

Grâce, cela va sans dire, épousera Poinsett, son séducteur, l’ex-Philippe Ashley, infidèle à la folâtre Mme Sepulvida, et Gabe remettra au jeune couple la concession de la mine d’argent accordée au docteur Devarges que Julie, sa femme, gardait, dit-il, en dépôt. Cette femme qui lui a donné un enfant, lui est désormais plus chère que Grâce elle-même, et si Olly continue d’être « sa petite-fille, » c’est qu’elle aime comme lui le baby et sa mère. Fort bien ! mais l’impression qui reste à la fin est décidément celle que miss Olly a maintes fois exprimée dans son langage énergique : le grand, le sublime Gabe n’est qu’une bête !

Ce qui sauve le dénoûment, c’est la belle scène de la mort de Jack Hamlin, qui vient mêler au concert bruyant et sans charme dont nous sommes étourdis une note profondément émue. Tout ce qui touche à ce sympathique vaurien est exquis, depuis son voyage nocturne avec Olly jusqu’au moment où il expire en confessant, pour adoucir les regrets de Pete, son fidèle domestique nègre, une foi religieuse qu’en réalité il ne possède pas : — Le pauvre vieux a été assez lx)n pour moi et je n’ai pas grand’chose à lui donner en échange ; lui refuser cela ne serait pas jouer franc jeu.

La fin de cet irrégulier jeté hors de la société par sa profession condamnable, mais sur les fautes duquel un grand et spirituel amour a passé comme le charbon ardent qui purifie, nous arrache bon gré mal gré des larmes qui effacent à la dernière page les fautes de l’auteur. Il y en a une cependant que nous persisterons à relever, imbus que nous sommes des préjugés du vieux monde. La justice finale existe moins que jamais dans les romans de Bret Harte. Je sais bien qu’il a déjà pris la peine de nous répondre que les châtimens en usage dans la littérature européenne ne pouvaient exister pour ses héros, qui échappent aux lois et aux réformes sociales et auxquels une vie exceptionnelle assure d’exceptionnels privilèges ; il nous semble cependant que Dumphy, Julie et Poinsett ne sont pas de ces sauvages à qui la destinée défend d’aborder les sphères supérieures où fleurit la morale, ils savent parfaitement ce qu’ils font : toutefois, à la dernière page nous voyons celui-ci épouser triomphalement une héritière qui l’adore, sans que son