Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire de résistance, le géant se livre au nain qu’il aurait pu abattre d’une chiquenaude, et cette abdication de la force physique devant la force morale est le sujet d’une des scènes les plus belles et les plus frappantes que nous nous souvenions d’avoir jamais lues.

Le jugement de Gabriel Gonroy tient beaucoup de place ; il est conduit avec un art infini. On croit assister à de vrais débats judiciaires ; nous avons les portraits détaillés des avocats, un plaidoyer burlesque de cet amusant colonel Starbottle, dont la poitrine bombée, le bégaiement d’ivrogne et les intarissables madrigaux à l’adresse du beau sexe reviennent dans presque tous les Récits californiens, nous entendons les dépositions pittoresques des témoins, chercheurs d’or de diverses nationalités, nous assistons aux faux-fuyans comiques d’un Chinois qui sait tout et qui ne veut rien dire. Par suite des changemens de noms, des substitutions de personnes, des papiers perdus, retrouvés, passés de main en main, l’affaire s’embrouille et menace de devenir inextricable. Les calomnies que Gabe entasse contre lui-même y aident beaucoup. Non-seulement il persiste à laisser croire qu’il est l’assassin de Ramirez, mais encore, sachant que sa femme est accusée d’avoir pris un instant le faux nom de Grâce Conroy, il n’hésite pas, pour la disculper de tout, à déclarer qu’il est lui-même un imposteur, que c’est lui qui a volé le nom de Conroy, qu’il se nomme en réalité Johnny Dumbledee. Il mérite que Grâce lui reproche d’être entré dans le complot qui tend à la déposséder de son nom et de sa fortune. Le dévoûment exagéré de Gabe est tout près de devenir criminel, et, pis que cela, ridicule ; on se perd dans cet écheveau emmêlé du procès, dont l’auteur du reste ne cesse jamais de tenir tous les fils avec une habileté qui fatigue et qui impatiente. C’est comme un tour d’adresse trop prolongé, une sorte de casse-tête chinois dont on désespère de rajuster jamais les pièces innombrables éparses et confondues.

Grâce Conroy, qui est ressuscitée le jour même où disparaissait dans le tremblement de terre doña Dolorès Salvatierra, vient expliquer comment on a pris jadis pour son cadavre au camp de la Famine celui de Mme Dumphy, et Dumphy, le grand capitaliste san-franciscain qui, à la veille de se remarier brillamment, a tremblé de voir surgir le spectre de sa défunte épouse, constate avec allégresse l’identité de miss Conroy ; puis apparaît fort à propos Perkins, qui vient livrer au public le secret final, le secret si longtemps suspendu, le nom du véritable auteur de la mort du Mexicain, et vraiment c’est la montagne qui accouche d’une souris ! Le croirait-on ! au moment où Perkins s’efforçait de retenir le bras levé sur Mme Conroy, Ramirez entendant des pas et la voix d’un domestique chinois, s’est frappé lui-même en menaçant d’accuser Perkins d’avoir