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souliers de satin, portant un enfant Jésus sous les dentelles, reçoit l’hommage des fidèles. Un padre Felipe, confesseur de doña Dolorès, représente en ce lieu l’influence jésuitique qui doit s’éteindre avec la domination espagnole. C’est un bon prêtre, doux et insinuant, fort habile aussi ; son but principal ici-bas est d’arrondir les biens de l’église. Bret Harte a tracé cette figure avec une malicieuse bonhomie. Nous rencontrons encore au pueblo un M. Perkins, véritable caricature à cheveux teints, fardé comme un clown de cirque, qui se trouve être le frère du docteur Devarges, l’ancien amant de Mme Conroy. Tous ces gens-là changent de nom et même de visage avec une facilité qui nuit à la clarté du récit ; encore ne sommes-nous qu’au premier tome : dans le second, les événemens et les personnages se confondent et s’embrouillent de telle sorte qu’on a peine à les suivre.

Nous nous trouvons transportés dans le beau monde de San-Francisco, un champ de découvertes et d’observations toutes nouvelles où il y a encore de belles récoltes à faire : un pique-nique donne une idée des mœurs de ces parvenus. Espérons que Bret Harte y reviendra, qu’il peindra un jour avec la verve satirique qui le distingue une société sans préjugés, qui en fait d’esprit, de principes, de mérite et d’élégance n’a que de l’argent ; mais, pour ne pas nous perdre avec l’auteur dans de trop longues digressions, retournons à Mme Julie Conroy, une des fleurs les plus rares de ce fumier doré. Le grand tort de Bret Harte est de chercher à la rendre intéressante. Si souvent il nous avait forcés de reconnaître et d’admirer les vertus qui dans certaines âmes résistent aux désordres d’une vie coupable, si souvent il nous avait amenés à nous attendrir sur la générosité de tel bandit, sur le dévoûment de telle pécheresse, qu’il a cru pouvoir réussir encore à faire excuser quelque chose de plus antipathique que tout le reste, la conduite d’une fourbe qui applique à l’intrigue, au mensonge incessant, les dons de son intelligence ; cette fois la gageure était téméraire : Miggles, Mme Tretherick, la fragile duchesse et bien d’autres héroïnes d’un passé plus que suspect, à qui notre attendrissement a donné absolution pleine et entière, se relevaient par ces actes de dévoûment sublime dont les âmes féminines les plus dégradées restent toujours capables, mais c’est la duplicité qui rend Julie haïssable : elle ne connaît point d’entraînemens, elle est froidement criminelle, et nous ne pouvons accepter sa rapide conversion. Sur quoi s’appuie cette conversion en effet ? Sur l’amour que le grand Gabe lui inspire. Elle l’a épousé par calcul, pour devenir propriétaire de la fameuse mine d’argent qu’elle vole à une autre, et tout à coup ce trésor n’a plus pour elle qu’une importance secondaire, elle veut