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son babil, qu’elle gagne une cause qui n’avait pas besoin d’être si bien défendue. Une femme, une étrangère, la même qu’a repêchée Gabriel, assiste à ce plaidoyer bouffon et s’y intéresse fort. Elle était venue déclarer à M. Maxwell ses droits sur le terrain usurpé par un imposteur et affirmer, avec preuves à l’appui, qu’elle était bien Grâce Conroy, sœur d’un Gabriel qui n’avait rien de commun avec le propriétaire actuel ; brusquement elle change de tactique et se donne des grands airs de générosité : — Cet imposteur après tout est l’homme qui l’a sauvée ; elle l’épargnera ; elle relire sa plainte. Bientôt après il se trouve que la reconnaissance s’est transformée chez elle en un sentiment plus vif, et Ramirez apprend à brûle-pourpoint par l’intermédiaire d’un autre coquin, le banquier Dumphy, que sa complice se nomme désormais, régulièrement et légalement Mme Conroy. Julie a glissé victorieuse, intacte et blanche comme l’hermine entre les doigts de ses complices ; elle est parvenue à s’assurer sur la mine des droits qui priment ceux de tous les concessionnaires, puisqu’elle la découvrira ou plutôt la fera découvrir par son mari, instrument passif et inconscient entre ses mains fluettes.

Ce singulier roman se compose, comme nous l’avons déjà fait remarquer, de plusieurs actions qui se succèdent et qui sont pour ainsi dire servies par tranches, sans grand souci de l’unité du fond. Au moment où l’on s’intéresse le plus au ménage de Gabe, l’auteur nous transporte d’un coup de baguette dans un lieu fort agréable du reste et dont le calme forme avec le tumulte des camps californiens un contraste qui repose, au pueblo de Saint-Antoine, le dernier refuge des mœurs espagnoles en ces parages. Aucune diligence n’y conduit, ni hôtel, ni taverne aux alentours, mais de la part de l’habitant l’hospitalité la plus large. De longues constructions d’adobe à toitures rouges, se groupent au pied des tours blanches de la Mission qui émergent de la pâle verdure des oliviers ; au loin la mer, où les bateaux à vapeur n’apparaissent qu’à l’état d’ombres fantastiques ; depuis la perle du galion qui s’est brisé dans le sable en 1640, aucun vaisseau n’a, de mémoire d’homme, jeté l’ancre au-dessous de la Pointe des Pins et des murs blancs du presidio munis de leurs canons désormais inutiles.

La plus riche propriétaire de celle vallée heureuse, véritable Arcadie californienne, enviée par tous les avides spéculateurs de San-Francisco, est la dame charitable et dévote du rancho de la Sainte-Trinité, doña Dolorès, une demi-religieuse, fille naturelle, dit-on, du gouverneur don Juan de Salvatierra. C’est chez elle que se rend un jeune homme que nous reconnaissons aussitôt pour l’infidèle Philippe Ashley, autrement dit Arthur Poinsett. Il vient, en qualité