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relativement riche toutefois de souvenirs et d’antiquités : la première tente qu’on y dressa subsiste encore, des trous laissés par les balles marquent toujours les volets du salon de la Cachucha, où eut lieu une bataille mémorable entre trois citoyens importans ; à cette poutre, on a pendu l’an dernier un notable de l’endroit, convaincu d’avoir volé des mules ; sous ce hangar, on s’est réuni pour choisir les délégués qui devaient à leur tour envoyer un représentant de la Californie dans les conseils de la nation.

La cabane de Gabriel Conroy est une des plus rustiques de l’établissement ; c’est là qu’il est venu échouer après avoir fui le camp de la Famine, sa petite sœur sur ses épaules. Il a construit ce gîte ; il y rentre chaque soir, son rude travail terminé, pour entreprendre une besogne plus pénible encore, celle de raccommoder les jupes que la turbulente Olly déchire à toutes les ronces. C’est ainsi que nous avons vu autrefois toute la bande terrible du Camp Rugissant s’acquitter à l’envi de soins du même genre pour le plus grand bien de son enfant d’adoption, Tommy la Chance.

« Tirant avec précaution et sans bruit la cheville de bois qui servait de verrou, Gabriel entra du pas muet auquel il s’était habitué. Il alluma une chandelle aux tisons expirans et regarda tout autour de lui. La cabane était séparée en deux compartimens à l’aide d’une toile tendue d’un mur à l’autre. Sur une table en bois de pin traînaient des vêtemens de petite fille : une robe en loques, un jupon de flanelle blanche rapiécée au moyen de l’étoffe rouge qui avait appartenu à une chemise d’homme, enfin des bas reprisés avec une telle exagération de relief qu’ils avaient perdu presque complètement leur forme et leur couleur primitive. Gabriel examina tous ces articles d’un air piteux, l’un après l’autre ; puis il ôta son habit et ses bottes, et s’étant mis à l’aise alla prendre sur un rayon certaine boîte dont il tira du fil et des aiguilles.

— Est-ce toi, Gabe ? cria une voix d’enfant derrière l’écran de toile.

— Oui.

— J’étais fatiguée, Gabe, je me suis mise au lit.

— Je le vois bien, dit sèchement Gabriel, en ramassant une aiguille qui était restée plantée dans le jupon après avoir essayé assez maladroitement de courir dans le voisinage d’un accroc.

— Gabe,… ils sont si vieux !

— Si vieux ! répéta le frère d’un ton de reproche. Mais à quelques trous près ils sont aussi bons que jamais. Le jupon est même plus fort, dit Gabriel en soulevant cet objet et en regardant avec orgueil la mosaïque de pièces et de reprises, plus solide, Olly, que le premier jour.

— Il y a cinq ans, Gabe.