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de quoi payer l’intérêt de ces avances. Qui donc accumulerait du capital et qui emploierait un seul ouvrier s’il n’en tirait un certain profit ?

Comme Proudhon, Marx arrive, mais sans le dire, à la chimère tant de fois réfutée du crédit gratuit. L’histoire des sociétés prouve que le prélèvement d’une partie du temps du travail au profit de celui qui dispose des choses indispensables pour produire, a toujours eu lieu sous une forme ou sous une autre. Avec le régime de l’esclavage, le maître recueille tout le produit du travail. Il donne à l’esclave ce qu’il faut pour l’entretenir et lui permettre de se perpétuer, et il garde le reste pour lui. C’est donc comme si l’esclave travaillait une partie de son temps pour lui et ensuite pour son maître. Sous le régime de la corvée, le paysan travaille deux ou trois jours sur la terre du seigneur et le reste du temps sur la sienne. Il est à moitié affranchi, mais une partie de ce qu’il produit va au domaine éminent. Avec le métayage, ce n’est plus le temps du travail qui se partage entre le maître et le travailleur ; ce sont les produits du travail, ce qui au fond revient au même. Le fermage à son tour n’est que la transformation du métayage, avec cette différence que le fermier paie la part du propriétaire en argent ; mais toujours il travaille une partie du temps pour sa subsistance et le reste pour celle du maître qui lui a livré le sol. Dans le salariat, le même fait se reproduit. Une partie de la journée l’ouvrier travaille pour obtenir l’équivalent de sa subsistance, c’est-à-dire son salaire, le reste du temps pour le capitaliste. Le fait constaté par Marx est donc bien réel ; mais ce n’est point par des subtilités économiques sur la plus-value qu’on peut attaquer un partage du produit qui résulte des lois civiles. Vous pourrez dépouiller un homme de son bien, mais vous ne ferez jamais qu’il en cède la jouissance sans recevoir en échange des services, des produits ou de l’argent. Voulez-vous, comme le désirait Proudhon, que le producteur puisse racheter son produit ou qu’il le conserve en entier ? faites-en un capitaliste. En France déjà et plus encore en Suisse, à l’inverse de l’Angleterre, un grand nombre d’hommes possèdent la terre et les outils, et peuvent ainsi s’asseoir sous leur vigne et garder pour eux-mêmes tous les fruits de leur travail appliqué à un sol qui ne doit rien à personne. Favorisez ce mouvement en répandant l’instruction et l’habitude de l’épargne, et le moment viendra où tous auront une part de la propriété soit foncière, soit industrielle, et ainsi tous seront affranchis de la dîme payée au capital, parce que celui-ci leur appartiendra. La rente est un fait naturel et l’intérêt un fait nécessaire. Vous ne pouvez donc les supprimer, mais le travailleur peut se les voir attribuer en conquérant la propriété.

L’erreur fondamentale de Marx réside dans l’idée qu’il se fait de