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assemblées, aux charges de judicature, attribuant aux affranchis, comme récompense de leurs suffrages, les mille petits emplois manuels qui n’exigeaient que peu ou point d’instruction. Tous les traitemens furent augmentes, et le nombre des emplois, devenus une monnaie électorale, fut démesurément accru. Sous prétexte de ranimer la prospérité du sud par le développement des voies de communication et des travaux publics, les mêmes hommes concédèrent à des entrepreneurs appelés du nord, des chemins de fer, des canaux, des travaux de dessèchement et d’irrigation auxquels ils attachaient des subventions énormes en argent et en terres. Pour s’assurer la bienveillance et l’appui des autorités fédérales, une large part était faite aux personnages influens à Washington, et aux nombreux parens et amis du président Grant. Toute opposition, toute discussion même, était impossible en présence des baïonnettes fédérales, mises à la disposition des autorités nouvelles : tout recours au congrès eût été illusoire ; le sud n’était plus représenté, au sénat comme dans la chambre des représentans, que par des affranchis ou des aventuriers du nord et de l’ouest. La dette publique de la Louisiane, qui était de 10 millions de dollars à la fin de la guerre civile, s’élevait déjà à 40 millions en 1872 ; la dette municipale de la Nouvelle-Orléans avait décuplé. Les dettes de l’Arkansas, du Mississipi, de l’Alabama, de tous les états du sud, la Géorgie exceptée, s’étaient accrues dans la même proportion pendant cette période.

Cette dilapidation des finances du sud, cette oppression d’une race tout entière et les collisions qui en résultaient, ces recours fréquens aux baïonnettes fédérales et l’intervention continuelle du président et du congrès dans les affaires intérieures des états reconstruits, finirent par provoquer une réaction dans les sentimens des vainqueurs eux-mêmes. Le parti démocratique avait toujours été favorable à l’autonomie des états, et ses représentans au congrès, bien qu’en minorité, luttaient énergiquement contre des mesures qui leur semblaient abusives. Une scission s’opéra parmi les républicains, lorsque les faits qui viennent d’être résumés eurent été mis en lumière et rendus incontestables par une enquête que le congrès ne put refuser. Les honnêtes gens s’indignèrent des honteux trafics qui déshonoraient la plus noble des causes ; les esprits libéraux s’alarmèrent de l’influence funeste que pouvaient exercer sur les mœurs publiques et sur l’opinion, l’extension sans mesure des pouvoirs de l’autorité centrale et la continuelle substitution de la force à l’emploi des voies de droit. La guerre civile aurait-elle, aux États-Unis comme à Rome, pour conséquence dernière la prépondérance de l’autorité militaire et la concentration de tous les