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Comme il le dit très bien lui-même, son système n’est qu’une application conséquente de ce principe admis par Smith, et plus rigoureusement développé par Ricardo, que toutes les richesses ne doivent être considérées économiquement que comme des produits du travail et ne coûtant que du travail. La misère et les crises commerciales, ces deux grands obstacles au progrès régulier du bien-être et de la civilisation, n’ont qu’une seule cause, qui est celle-ci : tant que l’échange et le partage des produits restent soumis aux lois résultant de l’histoire et non à celles de la raison, le salaire des classes laborieuses devient une part relative moindre du produit national, à mesure que la productivité du travail social augmente. Rodbertus arrive à cette conclusion par une étude des influences économiques qui règlent le taux des salaires et de la rente. L’ouvrier, dit-il, apporte sur le marché une marchandise qui n’est pas de garde, les heures de travail dont il dispose ; mais il n’a ni terre, ni capital pour travailler, il doit donc mettre ses bras au service de ceux qui peuvent les employer. Que lui donneront ceux-ci ? Poussés par la concurrence à produire au meilleur marché possible, ils ne donneront rien au-delà de ce qui est strictement indispensable. Or l’indispensable, c’est ce qu’il faut pour permettre au travailleur de subsister et de se perpétuer. C’est là « le salaire nécessaire » dont parle Ricardo, le niveau régulateur vers lequel en réalité gravite le salaire dans ses oscillations amenées par l’offre et la demande. Supposons maintenant que le travail devienne plus productif : l’ouvrier en un jour produira plus d’objets. Il s’ensuivra que chacun de ces objets aura coûté moins de travail et se vendra meilleur marché. L’ouvrier, qui vit de la consommation de ces objets, pourra ainsi s’entretenir à moindres frais et par conséquent se contenter d’un moindre salaire. Rodbertus s’efforce de rendre ceci plus clair par un exemple. Un propriétaire obtient d’une terre, en employant un ouvrier, 60 hectolitres de blé. Il en donne à l’ouvrier 30, représentant le salaire nécessaire ; il peut donc en conserver 30 pour lui. Si au moyen de meilleures machines il récolte 90 hectolitres, il en aura pour sa part 60, et ainsi le salaire qui formait d’abord la moitié du produit total n’en formera plus que le tiers quand le travail sera devenu plus productif. Et en effet, depuis l’invention de la vapeur, la masse des produits créés dans les sociétés civilisées a triplé, quintuplé peut-être, et le salaire n’a pas augmenté en proportion. Cette remarque de Rodbertus est juste ; mais le fait qu’il critique ne peut être autre qu’il n’est. Si le produit a tant augmenté, c’est parce que l’on met en œuvre aujourd’hui deux ou trois fois plus de capital qu’au siècle dernier. Ce capital doit être rémunéré, et ainsi il prélève le surplus de la production dont il est la source. Quand on faisait moudre le