Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les fonctions et à rendre temporaires et électives toutes celles qui ne l’étaient pas, sans excepter les sièges de la magistrature. Ni le président Polk, ni le président Pierce ne sollicitèrent l’honneur d’une réélection ; faisant un pas de plus dans cette voie et désireux de capter les suffrages populaires, André Buchanan, en posant sa candidature, prit l’engagement, qu’on ne lui demandait pas, de ne pas se représenter à l’expiration de sa première magistrature. La réélection d’Abraham Lincoln et celle du général Grant s’expliquaient par la crise que l’Union américaine traversait ; mais tout portait à croire qu’aussitôt l’ordre matériel rétabli, les tendances qui prévalaient dans l’administration intérieure des états reprendraient tout leur ascendant, et que désormais la réélection d’un président ne pourrait plus être que le résultat de circonstances tout à fait exceptionnelles. Cependant, au mois de novembre 1872, la désignation des électeurs présidentiels venait à peine d’avoir lieu et d’assurer la réélection du général Grant, qu’un journal, l’Indépendant de New-York, s’écriait que cela ne suffisait pas et que, pour le bien du pays, il fallait s’occuper d’ores et déjà d’assurer au général la possession du pouvoir pendant un troisième terme. Pour qu’une pareille proposition se produisît, et surtout pour qu’elle trouvât un certain écho, il fallait ou qu’une révolution se fût opérée dans les idées, ou que la situation intérieure des États-Unis recelât quelque chose d’anormal. La vérité est que pour la première fois, et passagèrement, il y avait au sein de la république américaine une cause, une classe nouvelle et des intérêts puissans disposés à identifier leur sécurité avec le pouvoir d’un homme.


I

Abraham Lincoln, dont l’élection avait déterminé l’explosion de la guerre civile, ne se croyait pas d’autre mission que de maintenir l’intégrité de la république en faisant rentrer dans le devoir les états qui prétendraient briser le lien fédéral. Il se tenait pour obligé de les ramener à l’obéissance ; mais, observateur fidèle de la constitution qu’il défendait, il n’estimait pas que le congrès eût le droit ni de toucher à l’organisation intérieure des états du sud, ni d’imposer à ces états de modifier leurs lois et d’abolir l’esclavage. Tel était aussi le sentiment des plus éminens parmi les hommes qui concoururent dès le premier jour à la défense de l’Union, des généraux Scott, Mac Clellan et Hancock : telle était également la doctrine du parti démocratique, qui avait toujours défendu l’autonomie intérieure des états. Ces idées, que Lincoln lui-même eût sans doute été impuissant à faire prévaloir, furent définitivement