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quelque temps dans une longue galerie on se trouvaient rassemblés plus de cent gentilshommes, tous couverts de draps d’or. L’attente d’ailleurs fut courte. Chancelor et ses compagnons reçurent l’ordre d’avancer : l’empire russe, dans sa majesté, posait devant eux. Tout autour de la nouvelle salle se tenaient rangés les principaux seigneurs et les grands officiers du palais. Au fond avait pris place le vainqueur de Kazan, implacable et fastueuse idole, que des millions d’hommes, sans l’avoir jamais entrevue, se faisaient un devoir d’adorer comme un Dieu, d’aimer et de vénérer comme un père. Ivan Vasilévitch portait ce jour-là une longue robe brochée et lamée d’or. Il en possédait de plus riches toutes garnies de perles, brodées de saphirs et d’autres, pierres précieuses. ; mais ces vêtemens étaient d’un tel poids que le tsar les tirait rarement du trésor qui gardait ses principaux joyaux. La couronne sur la tête, un sceptre de cristal et d’or dans la main droite, l’autre main appuyée sur le bras d’un vaste fauteuil également chargé de dorures, le jeune fils de Basile, du haut de ce siège, beaucoup plus élevé que les sièges des boïars, dominait immobile l’imposante et grave assemblée. C’est ainsi que la mappemonde de Sébastien Cabot avait représenté le grand-khan, « empereur des Tartares, roi des rois, seigneur des seigneurs. » C’est ainsi que, mieux informée, elle eût dû, en 1553, nous montrer le grand-duc de Moscovie, pendant deux siècles, tributaire des Mongols, à cette heure héritier de la puissance sous laquelle jusqu’en 1390 ses ancêtres étaient restés asservis.

Quand Chancelor eut fait son salut et remis au chancelier la lettre d’Edouard VI, le chancelier, tête nue, la présenta au tsar. Ivan IV prit la lettre, souhaita au capitaine du Bonaventure la bienvenue et lui demanda des nouvelles de son maître., « Le roi, répondet Chancelor, sans se laisser troubler par la nouveauté des fonctions qu’il se trouvait appelé à remplir, se portait bien au moment de mon départ, et j’espère qu’il en est toujours de même. » La cérémonie était close ; le pilote-major n’avait plus qu’à se retirer, car il lui avait été strictement recommandé par ses introducteurs « de ne pas parler au duc, tant que le duc ne lui parlerait pas. » Le soir même, les Anglais, — honneur rare et insigne, — dîneraient « avec sa grâce. » Le temps leur eût manqué pour retourner chez eux, et ce fut dans la chambre du secrétaire qu’ils allèrent, attendre l’heure du repas. Le moment venu, on les conduisit dans un autre palais. Les Russes appelaient ce palais « le palais doré. » A quel titre ? Chancelor n’avait-il pas vu sur les bords de la Tamise, maint palais « infiniment plus beau sous tous les rapports. » Bien décidé à ne rien admirer qui ne fût de tous points réellement admirable, ce