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contraire les obstacles, bien loin de les vouloir lever. Louis XIII est un roi de second plan ; c’est une vie manquée pour l’histoire et qui se trouve mieux à l’aise dans les mémoires, les Essais, les œuvres d’imagination, partout enfin où certaines sympathies se peuvent donner cours, où l’art se sent quelque peu libre d’orner son personnage et de le mettre au point. Autant la joyeuse et vaillante figure d’Henri IV se complaît en pleine lumière, autant la sienne cherche l’ombre. Heureux ce Béarnais, dont le corps souple, solide et bien musclé se prêtait à toutes les fatigues ! Celui-là vécut librement, prompt aux affaires, aux combats, aux plaisirs, et quand le jour vint de quitter la fête, le poignard du meurtrier n’eut pas besoin de s’y prendre à deux fois ; un seul coup suffit et si bien qu’en un clin d’œil tout fut terminé.

Appauvri d’âme et de sang, le fils traîna, bâilla sa vie, et le plus grand service qu’il ait rendu à la France est d’avoir maintenu Richelieu au pouvoir. Il souffrit ce qu’il ne pouvait empêcher, et le souffrit, non pas gaîment, mais avec de constantes révoltes et de sourdes colères qui n’éclataient au dehors que pour rentrer presque aussitôt. L’auteur de la nouvelle étude sur Louis XIII et Richelieu nie cette haine latente et prétend au contraire nous prouver qu’entre ce roi et ce ministre la plus pure et la plus chaleureuse amitié ne cessa jamais d’exister : thèse difficile, mais ingénieusement soutenue, et qui sans vous persuader, réussit à raviver la curiosité du sujet. De l’amitié, il n’y en eut point entre ces deux compères de la journée des dupes et de toutes les tragi-comédies et comédies de ce règne, il n’y eut que de la politique et des intérêts. « Nous avons dû, par égard pour la vérité outragée, écrit M. Marius Topin, anéantir la légende du roi fainéant, de l’automate que dirigeait à sa guise le cardinal. » Mais personne que je sache n’a jamais avancé rien de cela. Au lieu de se laisser diriger à la guise du cardinal, Louis XIII au contraire se défendait et regimbait même alors qu’il devait finir par céder. Ainsi passait-il le temps à s’échauffer contre des actes qu’il ratifiait un quart d’heure plus tard, à disputer des têtes qu’il livrait au bourreau le lendemain. Nous avons vu plus haut le grand ministre s’armer d’un flambeau et prendre le pas sur le monarque « pour obéir aux ordres de sa majesté et remplir l’office d’un humble valet. » Les choses s’accomplirent toujours de la sorte, avec cette seule différence que, tout en continuant à se servir du flambeau, il prenait la hache et frappait : Chalais d’abord, puis Montmorency, puis Cinq-Mars, toujours « pour le service du roi et de l’état, » car on répond à tout avec ces mots, comme on répond à tout avec de la gloire.


HENRI BLASE DE BURY.