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avec son tangage doux et ses mouvantes perspectives. A Lyon, la tragédie eut son cinquième acte. Sur la place des Terreaux, en face de l’Hôtel-de-Ville où figure aujourd’hui la statue d’Henri IV, se dressa l’échafaud ; Cinq-Mars y monta d’abord, intrépide et chevaleresque, puis De Thou, calme et sérieux comme il sied à l’enfant d’une éducation morale plus sévère. Qui ne connaît l’atroce mot de Louis XIII tirant sa montre au moment de l’exécution : « Monsieur Le Grand passe un mauvais quart d’heure. » A quelque cent ans de là, un petit-fils de ce monarque bon chrétien regardant tomber la pluie, pendant qu’on menait en terre Mme de Pompadour, soupirait philosophiquement : « la chère marquise a mauvais temps pour son voyage. » Aimable scepticisme du cœur des rois ! et Chateaubriand qui nous raconte qu’on n’a jamais su la quantité de larmes que leurs yeux contenaient. A qui les donnent-ils alors ces larmes, qu’ils n’en trouvent pas une de miséricorde ou de simple attendrissement pour les êtres qui les ont approchés de plus près ? L’ingratitude de Cinq-Mars était quelque chose de révoltant, mais ce coupable avait vingt ans, et la pitié convient aux rois. Notons par contre que la position de Louis XIII était des plus embarrassées. Il avait eu beau repousser avec horreur la proposition d’assassinat, Richelieu s’était senti du coup ébranlé, presque atteint. Il lui fallait à nouveau se manifester par un grand exemple, car c’est l’inexorable loi de ces systèmes de répression à outrance que le répit y devient impossible et qu’un jour de relâche remet tout en question. Richelieu s’imposant, on céda. Inexorable, soit ! Mais pourquoi ces jeux d’esprit, cette ironie ? Hélas ! peut-être était-ce une manière à ce roi faible de se prouver sa force de caractère. Toujours est-il que Richelieu sortait de là retrempé et se croyait inexpugnable. « Maintenant, disait-il à ses amis, je suis en mesure de faire faire au roi tout ce que je voudrai, et je ne manquerai pas l’occasion. »

A sa pauvre machine, usée, caduque, cette passion fébrile du pouvoir servait de ressort. Il semble ainsi qu’un travail âpre, incessant, qu’une besogne accumulée vous crée un droit fictif à l’existence. Quand on a tant à faire pour son roi, pour l’état, comment mourir ? Les médecins ne se lassaient pas de varier ce thème autour du lit de leur malade. A les en croire, Dieu ferait un miracle ; mais Richelieu ne les croyait pas. Sa mort fut du même style que sa vie, imperturbable : fatigué de tous ces flatteurs, il manda près de lui Chicot, le médecin du roi, et seul à seul le somma de s’expliquer franchement en ami. Chicot hésita d’abord, puis répondit : « Monseigneur, d’ici à vingt-quatre heures, vous serez mort ou guéri ! — Très bien, répliqua le cardinal, voilà qui est parler, et je sais à quoi m’en tenir. — Au roi, prenant congé de lui : — Je laisse, dit-il, à votre majesté son royaume en bon état, et c’est assez pour ma