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d’abord et chansonnant, s’irritait, s’insurgeait ; Richelieu, soit abattement de voir tant de résultats obtenus lui échapper, soit effroi des périls de la rue, Richelieu refusait de paraître ; François du Tremblay et Mazarin le surprirent en larmes dans son hôtel pendant qu’au dehors hurlait la foule. « Monsignor il petto protegga l’uomo, insinuait discrètement Mazarin d’une voix obséquieuse et pathéthique ; mais le moine, tout entier à la situation, écarta les proverbes italiens, il fut brutal et trivial, et son éloquence triompha. Richelieu, rendu à lui-même et marchant à l’émeute, fut acclamé du populaire ; l’audace réussit cette fois comme toujours, et bientôt, la résistance mieux organisée redoublant de vigueur, la guerre prit un autre aspect. L’éminence grise avait sauvé l’éminence rouge. A quelque temps de là, Leclerc du Tremblay tombait frappé d’apoplexie. Le cardinal, à cette nouvelle, accourt éperdu, hors d’haleine, et du plus loin, s’efforçant à son tour de ranimer celui qui naguère encore le releva, s’écrie dans un mouvement où respire le plus noble patriotisme : « Courage, Joseph, Brisach est à nous ! » Cette voix rappelle à la vie le moribond, mais ce n’est qu’un éclair, et ses petits yeux, après avoir brillé d’une dernière lueur, s’éteignent pour jamais. — « O ma consolation, mon seul refuge, poursuit le cardinal, ô mon confident, mon ami, j’ai tout perdu ! » Les destins exigeaient-ils comme Calchas un pareil sacrifice ? Toujours est-il qu’à dater de cette heure ils s’apaisèrent, la guerre alla se terminant, et la jeune reine mit au monde un dauphin. Richelieu touchait au faîte de sa puissance, rien ne manquait à son bonheur que l’éminence grise et que la santé.

A quoi songeait donc Alfred de Vigny, et quelle singulière idée de travestir en grossier capucin de mélodrame ce batailleur du temps d’Henri IV, ce gentilhomme devenu franciscain par lassitude de la vie et qui, théologal et diplomate, manœuvrait au congrès de Ratisbonne la coalition de tous les petits princes d’Allemagne contre l’Autriche ? L’école romantique de 1827, qui reprochait tant aux classiques leurs ritournelles et leurs poncifs, se fit toujours une joie de recourir à des pratiques d’opéra. S’adressant à l’histoire, à la chronique, au lieu de prendre un personnage en son ensemble, on le prenait pour une situation donnée. Ainsi dans le roman d’Alfred de Vigny, Cinq-Mars n’a de son temps que le costume : c’est simplement un joli premier sujet de drame lyrique, un ténor ; tout l’odieux de l’aventure sera pour Richelieu, pour Louis XIII et le père Joseph, tandis que sur ce muguet arrogant, sur ce niais présomptueux, trahissant la France que les autres s’occupent à sauver, l’auteur concentrera ses plus délicates sympathies, Les préfaces-manifestes de l’époque appelaient cela « la vérité de l’art, » vérité assurément fort distante de la vérité du fait. Ce héros