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dette flottante ne fut pas plus heureuse que la dette consolidée. Les bons du trésor échouèrent, comme tout le reste, dans le courant qui entraînait la dette personnelle avec la dette publique. Il n’est pire colère que celle des désespérés. Acculés dans une impasse, les porteurs de titres de la daïra sortirent des gonds, et, profitant de l’installation des nouveaux tribunaux, ils actionnèrent le vice-roi et demandèrent la saisie de ses propriétés particulières. Pour la première fois, le gouvernement s’aperçut qu’il existe une différence entre les revenus de l’état et ceux du chef de l’état. Il fallut parer le coup, car les juges ne semblaient nullement disposés à transiger avec ce qu’ils regarderaient comme leur devoir. Mais saisir la daïra ! quelle extrémité !

Le gouvernement s’adressa à l’Europe et, dans sa détresse, lui demanda le secours de ses lumières et de sa moralité financière. Des médecins spéciaux se présentèrent venant d’Angleterre, de France, d’Italie, et chacun proposa son remède. Ils s’accordèrent à peu près sur l’hygiène à prescrire au malade : la régularité, l’honnêteté et l’économie. Mais les créanciers de la daïra n’en continuaient pas moins leurs poursuites. Affolé par la peur, on devient impitoyable ! Que fit l’administration ? Elle rendit un décret par lequel la dette de la daïra fut confondue avec la dette de l’état. On qualifia cette mesure du titre de « unification de la dette. » Le mot étant trouvé, la chose fut considérée comme accomplie ; mais il fut impossible de faire comprendre le mérite de cette opération aux créanciers de la daïra. Ils persistèrent à réclamer le gage de leur créance, dans la croyance obstinée que son altesse paierait plutôt que de consentir au séquestre de ses biens. C’était dire qu’elle en avait les moyens, et cette supposition était inadmissible. A vrai dire, ces prêteurs n’ont eu que ce qu’ils méritaient ; ils ont été séduits par l’appât d’intérêts usuraires, et volontairement ils ont couru les risques qu’entraînent les prêts à usure. À ce jeu, s’ils ont perdu, qui les plaindrait ? Leur situation n’est pas plus intéressante que celle des créanciers de la Turquie. Prêter à des gouvernemens sans contrôle, sans responsabilité, sans garanties, c’est s’exposer à toutes les éventualités ! L’avidité ne raisonne pas ; c’est une passion aveugle qui croit toujours pouvoir se soustraire aux conséquences de ses entraînemens. Lorsqu’elles se produisent, elle se récrie, mais nul n’est sensible à ses lamentations. Cependant les engagemens même onéreux sont des engagemens : en Europe ils ont un caractère sacré. Il fut un temps où le négociant qui se voyait obligé d’y manquer se soustrayait par la mort à cette honte même imméritée, même causée par des hasards malheureux. Aujourd’hui l’on n’a plus, cette extrême susceptibilité, mais