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arrivé ? C’est que déjà cette magistrature acclamée et bénie par les petits se trouve en dissentiment avec les grands et notamment avec le gouvernement du Caire.

Le litige est intéressant à plus d’un titre et mérite que nous nous y arrêtions un instant. On sait en quel état sont les finances égyptiennes. Le pays est fort obéré. Comment ne le serait-il pas ? On a pu, dans le courant de cette étude, voir s’accumuler les causes de déficit et prévoir l’extrémité où l’Égypte devait fatalement arriver, comme la Turquie, savoir à une interruption de paiement. Croyait-on pouvoir l’éviter ? C’est possible ; les Turcs sont si fatalistes ! Jusqu’au dernier moment, l’Égypte faucha son blé en herbe. Les emprunts se succédèrent avec autant d’obstination et d’aveuglement que la confiance des prêteurs. Emprunt en 1862 ; nouvel emprunt en 1864, en 1866, en 1867, 1868, 1870 et 1873 ; en tout sept appels aux capitaux de l’Europe, montant ensemble à 2 milliards selon les uns, et à 2 milliards 275 millions d’après les autres ; une partie de ces emprunts avaient été faits au nom de l’état, une autre hypothéquée sur la daïra, c’est-à-dire sur l’ensemble des propriétés particulières du vice-roi. Or quelle différence entre l’état et la daira ? Aucune, puisque le vice-roi confond entre ses mains tous les pouvoirs et tous les revenus. C’est lui qui décrète l’impôt, qui contracte les obligations au nom du trésor public, l’endette, et encaisse. C’est bien ainsi que le gouvernement égyptien comprenait la situation. Il l’a prouvé par les faits et les actes qui vont suivre. Cependant, le produit des emprunts ayant été épuisé, ce gouvernement ne cessait d’émettre des bons du trésor : opération détestable dans un pays où le taux de l’intérêt est très élevé. Donc il a dépensé beaucoup, mais 2 milliards sont une somme énorme ! Qu’a-t-on fait de tant d’argent ? Nous ne voulons pas nous arrêter aux suppositions qu’on n’a pas épargnées au gouvernement du Caire, et qui ont assigné aux embarras du trésor égyptien des causes improbables, suggérées sans doute par la révélation du mystère des finances turques, que le sultan détrôné accumulait, dit-on, dans sa caisse personnelle. L’hérédité directe semble avoir détruit les seuls motifs avouables d’un tel détournement en Égypte, les vice-rois n’ayant plus aucune raison d’augmenter leur fortune particulière, eux dont les enfans auront un jour entre les mains toutes les finances du pays.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement d’Ismaïl-Pacha ayant été contraint de cesser ses paiemens, au moins par mesure provisoire, les créanciers de la daïra se crurent d’abord à l’abri de ce désastre. Illusion bien naïve ! La daïra fut comprise dans la débâcle du budget de l’état ; les créanciers personnels ne furent pas mieux traités que les créanciers publics. Du reste l’impartialité fut complète. La