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du développement même de la population qui en jouissait. Il tendait à devenir règle commune et finissait par constituer un état dans l’état : situation intolérable dont le vice-roi d’Égypte demanda à sortir, car sa province était particulièrement affectée par le mal, puisque la population des Européens y a augmenté à vue d’œil. Cette population comprend en Égypte aujourd’hui plus de 200,000 individus lorsqu’en 1836 elle était à peine de 3,000 âmes. Son niveau moral indique quel torrent de délits, de crimes elle a apporté dans le pays. Dans l’intérêt du bon ordre et pour dégager sa responsabilité, le gouvernement égyptien avait le devoir de demander la réforme des capitulations. Ce devoir était impérieux dans l’intérêt même de la colonie européenne. Qu’on en juge :

Un crime était commis publiquement, effrontément, au grand jour. La police locale arrêtait le coupable et devait se borner à le conduire à son consul. Celui-ci instruisait l’affaire, envoyait les pièces en Europe et embarquait l’accusé ; mais un procès criminel nécessite des témoignages verbaux, une enquête. La conscience des juges, en Europe est scrupuleuse ; ils ne condamnent point sans preuves, au moins sans preuves morales. Un dossier ne suffisait jamais pour former leur conviction. L’accusé était donc acquitté la plupart du temps, et il revenait en Égypte pour braver ses victimes, insulter la justice et commettre de nouveaux méfaits.

Passons aux litiges civils, que les capitulations rendaient inextricables. Ces traités étaient devenus fort élastiques. Consentis d’abord en faveur des seuls sujets français, on en avait étendu le bénéfice aux autres peuples, chaque gouvernement ayant réclamé le traitement « de la nation la plus favorisée. » Les consuls se faisaient un point d’honneur d’en exagérer les immunités. Ainsi, dans l’origine, ces fonctionnaires devaient se borner à juger les contestations entre sujets du même pays ; mais dès qu’un de leurs compatriotes était impliqué dans un procès, ils en revendiquaient la connaissance. Les habitans du pays se soumettaient volontiers à cet empiétement, qui avait l’avantage de les enlever à leurs juges naturels. Il n’en était pas de même des étrangers. Chacun d’eux déclinait toute compétence autre que celle de son consul, de sorte qu’un effet de commerce souscrit par un Français, endossé par un Anglais et un Belge au profit d’un Autrichien, pouvait conduire les. parties devant quatre juridictions différentes et donner lieu à autant d’arrêts contradictoires. Inutile de chercher à démontrer les vices de cette institution judiciaire, qui sont évidens : le moindre était d’aboutir à des dénis de justice et d’entretenir ainsi des élémens indestructibles de désordre. Ismaïl-Pacha prit l’initiative des réclamations à faire pour obtenir l’abolition de ces abus. Ce fut l’acte