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civilisation ? Allait-on voir fonctionner un parlement, lutter des partis, imposer un ministère d’opposition au vice-roi dans le pays du monde le plus absolu ? Pourquoi dissimuler la vérité ? Ce conseil des délégués fut considéré généralement comme une plaisanterie. On se dit qu’après tout son altesse pouvait bien se passer la fantaisie d’avoir des délégués, puisqu’il pouvait se donner celle de les faire bâtonner. Il faut être juste. Le vice-roi leur octroya les plus grands privilèges, et la loi électorale qu’il édicta fut une des plus sages et des plus libérales. Elle était digne de servir de modèle à tous les pays du monde sans aucune exception. L’article 2 disait que, pour être éligible, il fallait être honnête, loyal et capable. Le vice-roi avait vécu en Europe ; il prenait ses précautions. L’article 4 exigeait que l’élu « eût des moyens d’existence. » L’article 5 rayait d’avance de la liste des éligibles « les hommes condamnés à une peine infamante. » Enfin les militaires étaient tenus en dehors du parlement. Cette institution égyptienne aurait pu être enviée dans d’autres pays de suffrage universel. Rien n’était omis de ce qui pouvait garantir la moralité des élections. D’abord la validité en était examinée par une commission du conseil auquel il était interdit d’avoir deux poids et deux mesures selon que des amis ou des contradicteurs étaient en cause. Enfin le vice-roi s’était réservé, par l’article 14, le droit de délivrer à chaque délégué un brevet constatant sa nomination pour trois ans.

Il n’était pas question d’honoraires dans ce décret. Les délégués avaient-ils bien compris le motif du dérangement qu’on leur imposait ? Ils le prirent sans doute pour une application de la corvée non rémunérée. En sujets bien avisés, ils ne firent entendre aucun murmure. Le gouvernement leur présenta d’abord deux propositions connexes. Il leur demanda « de faciliter l’exécution des grands travaux d’utilité publique » et en outre « de fixer les époques de l’année où les impôts devraient être payés. » La première proposition demandait donc de l’argent ; la seconde exprimait le désir de savoir quand on ferait le versement. Les délégués purent commencer à entrevoir le but de leur réunion beaucoup moins illusoire qu’on ne l’avait d’abord supposé.

Le 18 juillet 1871, l’assemblée reçut communication d’un budget pour l’année finissant au 10 septembre 1872. Les recettes, comprenant un impôt foncier, une dîme sur les dattiers, un impôt personnel et des patentes, des droits analogues à ceux de l’enregistrement, plus les recettes des douanes, des chemins de fer appartenant à l’état, et autres chapitres, s’élevaient à 1,458,729 bourses[1]. Les dépenses, y compris le service de la dette publique, ne

  1. Une bourse vaut 500 piastres ; la piastre représente 25 centimes et une fraction.