Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nubar, qui n’était pas encore pacha. Est-ce vrai ? est-ce faux ? Le doute malheureusement subsiste. Qui trompe-t-on ? demandent les incrédules. Il y aurait un moyen de faire tomber les écailles de leurs yeux : ce serait de démontrer que les fellahs sont libres partout, même sur les grands domaines, qu’ils ne sont jamais assujettis au travail sans salaire, au profit d’aucun personnage, qu’ils ne sont point corvéables, ni taillables à merci. Démonstration difficile ! En attendant, cette partie de la constitution égyptienne reste dans une obscurité inquiétante pour le bonheur du peuple, inquiétante pour la bonne renommée du gouvernement.

Les prétentions du vice-roi étant admises, les contrats avec la compagnie du canal annulés, la Porte satisfaite, il ne restait plus qu’à faire les comptes. Avait-on seulement remporté une victoire à la Pyrrhus ? Les avantages obtenus compensaient-ils la peine et les dépenses ? On a fait récemment le bilan de la dette égyptienne. Les sommes payées à l’entreprise du canal ont été alignées comme une excuse des embarras financiers de l’Égypte. M. de Lesseps a rectifié ces calculs. Le vice-roi, dit-il, a fait une bonne affaire, et voici son raisonnement. Lorsque le gouvernement égyptien acheta 177,642 actions, elles furent payées au capital nominal, c’est-à-dire 500 francs l’une, soit en tout 88,821,000 francs. Ces actions valent au cours récent de la Bourse à peu près 130 millions de fr. Est-il juste d’attribuer à une telle opération le déficit du trésor vice-royal ? Il a plu à ce gouvernement de céder à l’Angleterre ces actions pour une somme ronde de 100 millions, et comme elles étaient dépourvues d’une partie de leurs coupons, aliénés pour d’autres besoins, il a fait un très grand bénéfice. C’est donc à d’autres causes qu’il convient d’attribuer la pénurie du trésor. A l’époque de la sentence arbitrale que le gouvernement avait imprudemment suscitée, l’avenir du canal de Suez était encore incertain. L’entreprise, exposée à de si rudes assauts, venait à peine d’être relevée d’une crise terrible par l’énergie de son fondateur. Il ne fallait pas être aussi intelligent que le pacha pour comprendre l’utilité de faire désormais cause commune avec la compagnie. Le moindre avantage de cette politique c’était sinon de rentrer dans son argent, du moins d’en sauver les intérêts. Ismaïl accepta donc définitivement et de bonne grâce l’existence de cette société, et il s’arrangea pour bien vivre avec elle.

Cette grosse affaire étant réglée, le gouvernement du Caire s’occupa d’une réforme intérieure dont la portée ne pouvait d’abord être bien comprise. Il s’agissait de la création d’un Conseil de délégués des populations égyptiennes. Quel était le but de cette innovation imitée de l’Occident ? Voulait-on donner une satisfaction sans conséquence à l’opinion des peuples les plus avancés en